Des militaires, des gendarmes et des membres du Bataillon d’intervention rapide -BIR- du Cameroun ont mené, le 4 avril 2019, une attaque meurtrière contre le village de Meluf, dans la région Nord-Ouest du pays. Les forces gouvernementales ont tué 5 hommes, dont l’un avait un handicap mental, et blessé une femme, tous civils. Les cadavres de trois de ces personnes ont été par la suite retrouvés mutilés, dont un qui avait été décapité.
De nouvelles attaques pourraient se produire si les forces gouvernementales ne sont pas contrôlées. Les autorités devraient enquêter sur les membres des forces de sécurité qui sont accusés d’avoir commis ces meurtres et poursuivre en justice les responsables. L’attaque contre Meluf s’est produite alors qu’on observe une augmentation des violences perpétrées par les forces de sécurité dans et aux alentours des établissements médicaux et contre les professionnels de la santé dans le Nord-Ouest.
"Les forces gouvernementales commettent des exactions contre les habitants des régions anglophones du Cameroun", a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. "Les autorités civiles et militaires camerounaises devraient affirmer clairement que ce genre d’abus ne sera pas toléré et mettre les commandants devant leurs responsabilités"
Se fondant sur des entretiens avec 10 témoins et habitants et sur un examen de sources vidéo et photographiques, Human Rights Watch a constaté que les victimes avaient été exécutées ou abattues alors qu’elles tentaient de s’enfuir au moment où les forces de sécurité investissaient leur quartier, à proximité duquel est situé un camp de séparatistes armés.
Un habitant de Meluf, un homme de 45 ans, a déclaré que les militaires avaient fait irruption chez lui, blessé sa tante d’une balle et tué son oncle : "Nous avons été réveillés par des coups de feu. Un militaire a brisé la vitre et a demandé à ma tante où étaient cachés les Ambas -les séparatistes-. Elle a répondu qu’elle ne savait pas, alors il lui a tiré une balle dans le bras droit."
De nombreux témoins ont affirmé que les forces de sécurité étaient entrées dans Meluf à pied, puis plus tard à bord de véhicules militaires, dont un engin blindé muni d’une mitrailleuse fixe sur son toit, au moins trois camions militaires et un bulldozer. Elles ont pénétré de force dans au moins 80 habitations de Meluf, en ont pillé quelques-unes et en ont incendié 7.
"Ils se sont servis du bulldozer pour ouvrir la route, qui avait été barrée avec des troncs d’arbre, et ils ont tiré dans tous les sens", a déclaré un témoin. "Certains membres des forces de sécurité tiraient de leur véhicule, d’autres étaient à pied. Ils étaient plus de 60".
Des proches de victimes et des habitants qui ont participé aux enterrements ont affirmé que trois cadavres avaient été trouvés profanés. Un enseignant de Meluf, qui a participé aux obsèques de l’homme dont le corps a été trouvé décapité, a dit : "Nous avons effectué la mise en terre du corps bien que nous n’ayons pas retrouvé la tête, car elle avait été jetée ailleurs. Après l’enterrement, la tête a été retrouvée dans le quartier voisin de Ngoonjo. Donc les habitants l’ont ramassée, sont retournés à la sépulture, ont creusé un autre trou et l’ont enterrée."
Les organes génitaux avaient été coupés sur deux autres cadavres de victimes. Un de leurs proches a affirmé qu’il avait trouvé les victimes mortes, gisant sur le sol de leur maison, les mains liées et le corps mutilé. Des habitants ont indiqué que les mutilations de civils morts était très traumatisant pour la communauté.
Meluf avait également été la cible d’une attaque le 5 décembre 2018, lorsque l’armée avait tué sept personnes, dont un homme de 70 ans qui était mal entendant et est mort carbonisé dans la maison de son voisin. Des dizaines d’habitations avaient été détruites dans cette attaque.
Meluf n’est pas le seul village de la région du Nord-Ouest à être la cible d’une attaque au cours de ces dernières semaines. Les forces de sécurité ont attaqué le village de Noi le 25 mars, incendiant et pillant 8 maisons.
L’attaque contre Meluf survient alors qu’on observe une augmentation des violences perpétrées par les forces de sécurité dans et aux alentours des établissements médicaux et contre les professionnels de la santé dans le Nord-Ouest.
Tôt dans la matinée du 1er avril 2019, des militaires et des gendarmes ont mené une opération dans un quartier résidentiel, dans l’enceinte de l’hôpital baptiste Mbingo. Ils ont tué une femme de 32 ans, mère de 3 enfants, et ont blessé par balles un homme tandis qu’ils recherchaient des séparatistes. La femme avait essayé de prévenir que des militaires arrivaient. "Elle a été abattue à bout portant", a affirmé un témoin. "Elle a été atteinte dans le dos et elle s’est vidée de son sang car nous ne pouvions pas la transporter à l’intérieur de l’hôpital"
Le 27 mars 2019, les forces de sécurité ont transporté leurs blessés dans le même hôpital pour qu’ils soient soignés, après des affrontements avec les séparatistes. Des témoins ont affirmé qu’un soldat avait tiré plusieurs coups de feu à l’intérieur de l’hôpital, entre le pavillon des femmes et la salle du personnel hospitalier, forçant le personnel à abandonner des patients.
Le 21 mars 2019, des militaires sont entrés dans le centre médical de Wainamah, à la recherche de séparatistes blessés. Ils ont accusé un motocycliste qui attendait un patient à l’extérieur d’être un séparatiste. Des témoins ont affirmé que les forces de sécurité l’avaient abattu dans la rue principale. Une infirmière a affirmé que les militaires avaient forcé le motocycliste à se déshabiller et avaient ouvert le feu sur lui à quatre reprises.
Cinq professionnels de la santé travaillant dans plusieurs établissements médicaux de la région du Nord-Ouest ont indiqué que le nombre de personnes venant se faire soigner dans les hôpitaux était en forte diminution depuis environ 6 mois car les patients ne s’y sentent pas en sécurité. "Les malades préfèrent mourir chez eux", a déclaré un médecin de Kumbo.
Plus tôt cette année, Human Rights Watch a documenté le meurtre d’une infirmière qui était enceinte et 3 attaques des forces de sécurité contre des établissements médicaux à Kumbo, dans la région du Nord-Ouest.
Le recours à la violence par les forces de sécurité à l’encontre des établissements médicaux et des professionnels de la santé apparaît comme une tendance préoccupante dans les régions anglophones, qui risque de priver la population de services de santé à un moment où elle en a le plus besoin, a déclaré Human Rights Watch.
"Le manquement du gouvernement camerounais à demander des comptes à ses forces de sécurité n’a fait qu’encourager les unités qui commettent des abus à commettre de nouveaux crimes", a affirmé Lewis Mudge. "Les forces gouvernementales doivent respecter les droits humains fondamentaux et cesser de s’en prendre aux civils".
Le 10 avril 2019