Pierre Dac dans sa sagesse faisait remarquer que "si on portait ses chaussures à la main plutôt qu’aux pieds, elles s’useraient moins vite".
C’est bien ce que l’on pouvait vérifier cet hiver au Musée des arts décoratifs, lequel retraçait avec passion le culte voué à la chaussure dans son exposition "Marche et démarche". Où l’on apprenait que le luxe de certaines chaussures de femmes leur interdisait tout simplement la marche. Dans la société de cour, la chaussure de luxe désigne le statut éminent mais montre également bien le prix à payer pour celles et ceux qui les portent. La Cendrillon de Perrault porte cette ambiguïté dans l’homophonie chaussure de vair et chaussure de verre.
Suivons Perrault, chaussons les bottes de sept lieues et revenons à l’Antiquité. Rappelez-vous Hermès aux chaussures ailées ou bien plus triste Néron tuant Poppée à coups de sandale d’or. Et Philétas de Cos, un de plus grands mais dont nous n‘avons plus que des anecdotes, ce savant qui mourut si maigre à force d’études et qui portait des semelles de plomb pour ne pas s’envoler.
Il y a et c’est plus connu, Empédocle qui fit de ses sandales un éloquent manifeste en les abandonnant comme seule trace avant de se jeter dans l’Etna.
Leconte de Lisle en a laissé un beau et long poème dont voici un extrait :
"L'abîme le reçut dans son ombre brûlante...
[…] l'Etna bondissant et d'éclairs hérissé
Rugit comme un lion profondément blessé;
Et rejetant, tout plein de forces inconnues,
Rochers, neiges et bois au sein des vastes nues,
Roula, comme un trésor, dans ses flots flamboyants,
Les sandales du sage en tes vallons riants !"
Ces historiettes de sandales ne mobilisent pas vraiment les foules avouons-le mais il est une paire de sandales qui a généré elle un vrai culte pendant des siècles auprès de centaines de milliers de personnes venues de toute l’Europe.
Nous voulons parler ici de Prüm bien entendu.
Prüm avez-vous dit ? Mais qui donc connaît encore Prüm, petite ville d’Allemagne dans le massif de l’Eifel aux confins des Ardennes ? Pour les historiens c’est un traité, en 855, celui qui scinde en 3 la Lotharingie, cette Francie médiane entre les fils de Lothaire, le petit-fils aîné de Charlemagne. C’est le début de la lutte séculaire entre Francie occidentale et Francie orientale.
Mais Prüm est surtout une abbaye, l’une des plus grandes du monde carolingien, fondée par Bertrade l’Ancienne, possessionnée dans tout l’Empire, de la Bretagne aux Pays-Bas. C’est là que mourra ce même Lothaire comme simple moine, ou que Charles le Chauve passera quelques vertes années. C’est aussi un des plus grands pèlerinages d’Occident.
Mais qu’allaient donc voir tous ces milliers de pèlerins à Prüm ?
C’est là qu’entre en jeu Bertrade de Laon, la petite-fille de Bertrade l’Ancienne, dite Berthe au grand pied, qui fut la femme de Pépin le Bref et mère de Charlemagne.
Pépin a soutenu le pape Etienne II dans la création des états pontificaux en lui cédant certains territoires conquis à cet effet, qu’on appellera plus tard "le patrimoine de Saint-Pierre".
En remerciement Etienne reconnut la toute nouvelle dynastie carolingienne et leur donna des sandales… mais pas n’importe lesquelles, celles du Christ. Selon la tradition, les sandales étaient celles de l'épisode du partage des vêtements du Christ - avec la Sainte Tunique et la ceinture- au cours de la crucifixion.
Dans cette abbaye qu’ils avaient refondée en 752, Berthe et Pépin remirent donc à Prüm l’une des plus grandes reliques du Moyen-Age, de quoi repartir du bon pied. L’abbatiale prit alors de le nom de "Sanctus Salvator" - Saint-Rédempteur-
Au premier abord, on est surpris car cela ressemble plus à des chaussons richement décorés d’un arbre de vie qu’à des sandales de charpentier du 1er siècle ! En fait seules quelques portions des sandales de Jésus sont en fait incorporées à l’intérieur, cachées et découvertes sous les décorations de lamelles d’or.
Les Sandales du Christ font toujours l'objet d'une vénération religieuse dans la basilique de Prüm.
Le 27 février 2020