La hiérarchie des forces armées centrafricaines a connu ces derniers temps une réorganisation profonde et stratégique en vue de mener à bien la réforme tant souhaitée.
C’est l’objet du décret portant nomination d’un nouveau chef d’Etat-major des armées ainsi que de ses adjoints. L’Etat-major des armées est hiérarchiquement la plus haute institution militaire qui assure le commandement des opérations militaires, conseille le gouvernement sur des questions militaires, coordonne les différentes activités des autres chefs d’état-major des différentes unités qui sont sous son autorité c’est à dire l’armée de terre, l’armée de l’air… Cette haute et noble institution militaire est généralement administrée à l’instar des grandes armées du monde par le "fantassin" officier de plus haut rang de l’armée -ce qui n’est toujours pas le cas-.
Il est l’intermédiaire, la charnière et surtout l’interlocuteur principal entre le pouvoir politique et l’armée, il est placé sous l’autorité directe du président de la république et du gouvernement. Selon les dispositions de l’article 33 de la constitution du 30 mars 2016, sa nomination relève de façon discrétionnaire et sans ambiguïté du président de la république mais compte tenu de la sensibilité aiguë du domaine d’activité, ce pouvoir discrétionnaire ne doit pas intégrer des paramètres politiques et doit respecter paradoxalement certains critères et protocoles en vue de protéger le moral, le dynamisme et l’efficacité des troupes.
Depuis la promulgation du décret portant nomination du nouveau chef d’Etat-major des armées, des grognes et des bruits de bottes se font entendre dans les différentes casernes craignant la mise en ballottage des consignes et ordres hiérarchiques. L’éventualité de la bouderie des troupes associée à la colère latente de nombreux militaires retraités, le tout dans un contexte sécuritaire fragile interloque le citoyen lambda qui s’interroge :
- Pourquoi le président de la république limoge-t-il son chef d’Etat-major en poste depuis la prise du pouvoir juste à mi-mandat ?
- En d’autres termes, que s’est-il passé entre les deux compères ?
- S’agit-il d’un nouvel élan stratégique et politique ?
- S’agit-il d’un moyen pour reprendre la main sur l’armée ?
- L’Etat-major des armées doit-il nécessairement être administré par un homme de confiance, proche du pouvoir au détriment des qualités militaires ?
- L’officier supérieur promu remplit-il les qualités et compétences requises pour occuper ce poste stratégique ?
- Saviez-vous qu’on peut être compétent et qualifié mais pas nécessairement outillé pour les opérations de terrain ?
- Lors de sa désignation, les attentes politiques ont-elles privilégié sur les enjeux militaires ?
- Est-il l’idéal de politiser l’armée au détriment des missions régaliennes ?
- Les autorités ont-elles conscience de la dangerosité de leurs actes inadaptés, improvisés et inopportuns ?
- En d’autres termes, nos autorités ont-elles conscience des effets ou conséquences de la grogne des troupes dans un climat sécuritaire fragile et tendu ?
- Nos autorités perçoivent-elles les rivalités entre troupes qui peuvent fragiliser la cohésion des opérations militaires ?
- Selon la nomenclature, nos chefs d’état-major des armées majoritairement non-fantassins ont-ils une fois de leur vie participer à des combats pour prétendre les planifier et les coordonner ?
- Nos preneurs de décision perçoivent-ils la différence entre les fantassins c’est à dire les militaires de front et les logisticiens y compris les médecins qui concourent tous à la réussite des opérations militaires ?
Suite à ces différentes interrogations, il est important de rappeler qu’en dépit des prérogatives discrétionnaires du président de la république consacrés par l’article 33 de la constitution du 30 mars 2016, le pouvoir a commis une erreur manifeste d’appréciation sur le choix du moment car une nomination de ce genre dans un contexte sécuritaire fragile doit être opposable à tous et ne doit souffrir d’aucune contestation c’est -à- dire que le pouvoir devrait prendre en compte les compétences militaires, administratives, comportementales, morales ainsi que les qualités appréciées par les troupes.
Le meilleur chef d’Etat-major des armées doit en outre faire l’objet d’un consensus, admiré, mérité et proche des troupes. Le nom d’un chef d’Etat-major qui passe mal auprès des troupes pose un problème de commandement et d’exécution des ordres qui sont des éléments primordiaux dans la hiérarchie militaire car à défaut de syndicats, la relation de confiance doit suppléer et étouffer toute réclamation.
Ainsi, pour réussir un processus de désignation d’un chef d’Etat-major, la logique aimerait qu’un sondage, infiltration des troupes ou les renseignements militaires jouent un rôle en amont. Pour finir et dans le souci de respecter la décision souveraine même contestée du président de la république, nous mettons en garde contre toutes velléités de mutineries, de désordres et de toutes perturbations de l’ordre républicain sous toutes ses formes.
Les acquis démocratiques sont chers, sacrés et la volonté suprême du peuple doit s’exécuter jusqu’à échéances et ne doit souffrir d’aucune restriction.
Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Paris le 3 août 2018.
Bernard Selemby-Doudou Juriste, administrateur des élections.