Quand l’exposé des motifs du projet de loi portant création,
organisation et fonctionnement du conseil supérieur de la sécurité nationale
trahit les intentions hypocrites et suicidaires du pouvoir.
A l’orée de l’invasion déferlante des nébuleux groupes armés non conventionnels qui ont emporté le régime constitutionnellement établi en mars 2013, la notion de "sécurité" a pris une dimension incommensurable. Cette noble notion "fourre-tout" se retrouve fortuitement au cœur de toutes les conversations car elle est devenu par la force des choses la priorité de toutes les initiatives. C’est dans ce contexte tendu, confus et ambigu que le ministère centrafricain de la défense nationale a initié un projet de loi pour encadrer ce domaine si sensible.
Il s’agit effectivement d’un projet de loi portant création, organisation et fonctionnement du conseil supérieur de la sécurité nationale qui se veut un organe interministériel permanent, autonome et indépendant pour veiller sur la sécurité nationale. L’exposé des motifs qui conduit à ce projet de loi définit de manière confuse l’historique du cadre sécuritaire depuis sa genèse. C’est ainsi que de multiples initiatives et tentatives de réformes n’ont donné les résultats escomptés c’est à dire la fin des conflits ou affrontements armés, la réconciliation nationale, la cohésion sociale, la justice pour les victimes et le retour des exilés. Bernard Selemby-Doudou@bsd
Selon la logique de l’exposé des motifs du projet de loi, ces successives tentatives infructueuses sont les dérivées du manque de vision globale et stratégique. S’appuyant sur les leçons et expériences du passé, les forces vives de la nation ont adopté une déclaration de principe matérialisé dans le projet de loi et conforté par les recommandations du forum national de Bangui de 2015. En outre, il est important de rappeler au passage que le projet de loi portant création, organisation et fonctionnement du conseil supérieur de la sécurité présente un catalogue ou accumulation de concepts confus, décousus, amphigouriques a été approuvé par le chef de l’Etat en conseil des ministres. Effaré et apeuré par cette pathétique confusion qui règne dans l’exposé des motifs de ce projet de loi, le citoyen lambda s’interroge :
- En référence à l’aveu d’échec du programme de Désarmement, Démobilisation, Réinsertion et Rapatriement -DDRR- dans l’exposé des motifs, comment le pouvoir peut-il continuer à réclamer des financements ou des fonds pour un programme voué à échec ?
- Comment le pouvoir peut-il affirmer que le dialogue projeté est de nature à conforter le désarmement alors que ce programme est visiblement un échec ?
- Pourquoi continuer à mentir grossièrement au peuple centrafricain sur ce piteux programme ?
- En d’autres termes, pourquoi ce programme continue d’exister et de donner espoir au peuple alors que les autorités connaissent très bien sa finalité ?
- Dans le souci de convaincre les partenaires au développement, quelles sont les argumentations qui peuvent soutenir la nécessité d’une telle structure dès lors que le DDRR est vidé de son sens ?
- Quelles sont les réelles attributions de cette structure si ce n’est qu’un moyen de maquiller les détournements et dilapidations de deniers publics ?
- S’agit-il d’un organe consultatif dès lors que la mission d’exécution relève déjà du domaine régalien du ministère de la Défense ?
- N’y a t-il pas un risque de chevauchement de compétences, de double emploi ou d’empiètement avec les compétences existantes ?
- Dans la négative, cela équivaudra t-il à une réelle absence de politique sécuritaire avant cette structure ?
- S’agissant de la composition, ce conseil est purement et simplement un conseil de ministre restreint car il regorge la quasi totalité du gouvernement mais comment peut-on initier une haute structure de ce genre sans impliquer les professionnels de la sécurité c’est à dire l’état-major des armés, les officiers supérieurs de la police et de la gendarmerie ?
Considérant l’article 5 du projet de loi qui fixe la composition du conseil, on constate qu’il y’aura un manque de stabilité car les membres de cet organe changeront au rythme des changements ou remaniements gouvernementaux.
- Ainsi, ne peut-on pas se passer du caractère permanent de cette structure ?
- Les réunions interministérielles sur la sécurité ne sont-elles pas suffisantes ou efficaces à un moment où l’Etat doit réduire drastiquement ses dépenses ?
- Pour éviter le ridicule devant les partenaires conformément aux dispositions de l’article 2 du projet de loi, comment ce conseil peut être un organe de veille et de contrôle démocratique, autonome et indépendant de tout pouvoir alors qu’il est composé du président de la république et de la quasi totalité d’un gouvernement monocolore ?
- S’agit-il de quelle forme d’indépendance ?
- Par ailleurs, l’article 28 du projet de loi évoque une autonomie administrative et financière, cette prétendue autonomie s’apprécie ou se définit par rapport à quoi ?
- Pour finir et pour faciliter l’agencement juridique de cette initiative, ce projet de loi est-il conforme aux dispositions constitutionnelles?
- Est-il en cohérence avec les autres dispositions législatives en vigueur ?
- Comment peut-on expliquer que le gouvernement soit à la fois juge et partie ?
Fort de ce qui précède et avant toute transmission du projet de loi à l’assemblée nationale, nous demandons humblement à la commission préparatoire de ce projet de loi de procéder à la refonte de ce projet en vue d’aplanir les incohérences, confusions, ambiguïtés et surtout de se faire assister par des juristes pour donner une forme et un contenu juridique au projet. Apparemment, ce projet de loi a été calqué sur un modèle déjà existant sauf qu’il ne prend pas en compte les réalités socio-politiques locales.
Une réflexion approfondie s’impose…mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Bernard Selemby-Doudou ,juriste, administrateur des élections
Paris le 20 juillet 2018