Centrafrique : appliquer l’accord de Khartoum c’est bien mais respecter son esprit c’est mieux

Quelques semaines après avoir trinqué, dansé, jubilé en faisant des selfies avec les bourreaux et paraphé l’accord de Khartoum, la phase la plus difficile, la plus cruciale demeure sa mise en œuvre.                                                                               Bernard Selemby-Doudou@bsd

Selemby doudou bernardAu demeurant, chaque partie contractantes avait respectivement une carte à jouer : les groupes armés non conventionnels réclamaient de façon non négligeable l’abandon des poursuites tandis que le pouvoir revendiquait la paix pour le restant de la mandature.

Au-delà des revendications traditionnelles de tout accord de paix et après d’âpres discussions, les principaux engagements sont axés sur la cessation des hostilités, le désarmement, le retour à la vie civile des combattants, la suspension des poursuites, la mise en place d’un gouvernement inclusif et le redéploiement effectif de l’autorité de l’Etat sur toute l’étendue du territoire national.

Après la publication entourée de mystères des textes de l’accord, on remarque une interprétation abusive et erronée qui s’installe autour des dispositions de l’article 21 dudit accord qui évoque la mise en place d’un gouvernement inclusif.

Cet article semble être compris de l’autre côté de rive comme la désignation d’un premier ministre issu des rangs des groupes armés non conventionnels. Nous tenons à ce propos à rappeler qu’il faut une bonne interprétation dans l’esprit de l’accord pour faciliter sa bonne application.

Ces diverses interprétations à tort ou à travers confirment que la victoire à l’arraché de la diplomatie internationale reste fragile. Pour tenter de mettre un terme à toutes ces spéculations stériles, le citoyen lambda s’interroge :

  • Chacune des parties contractantes respectera-t-il les engagements prévus par l’accord de Khartoum ?
  • Pensez-vous que ces chefs de guerre qui sont habitués à jouer aux héros vont-ils accepter de jouer un second rôle dans le gouvernement inclusif ?
  • Sans calculs politiciens, la communauté internationale remplira-t-elle sa mission telle que prévue par les accords de Khartoum ?
  • En référence à la guerre de positionnement dans le camp du pouvoir, peut-on affirmer que le président de la république est pris en otage ?
  • Par souci d’associer le peuple au débat, peut-on envisager d’organiser un référendum pour jauger le degré d’acceptation de l’accord par le peuple synonyme de légitimation du processus ?
  • L’absence de date buttoir constituant un vide juridique dans le processus de désarmement n’est-elle pas un handicap à l’exécution efficace de l’accord de Khartoum ?

 

En tout état de cause, l’accord de Khartoum représente un pas décisif, important et historique dans la reconquête de la paix. Ce pas franchi démontre de la volonté des centrafricains à se transcender et de croire qu’une solution politique à la longue crise meurtrière est possible.

Pour garantir une paix durable, juste et équitable, de nombreux défis sont à relever parmi lesquels la mise en place de structures pédagogiques pour expliquer, vulgariser le contenu de l’accord qui est incompréhensible pour un grand nombre de populations analphabètes. Il faut également relever que la mise en œuvre de cet accord va bouleverser l’architecture, l’ossature du droit positif centrafricain car il sera impérieux d’actualiser et d’harmoniser des lois dont l’esprit et les objectifs sont contradictoires au corpus de l’accord de Khartoum.

Pour ce faire, chaque partie contractante doit s’acquitter de ses droits, devoirs et obligations.

En conséquence de ce qui précède, nous pouvons affirmer que la signature de cet accord est une aubaine pour le pouvoir pour palier à son manque d’ouverture démocratique et de corriger ses errements en matière de gouvernance…la paix ne sera complète que si chaque partie s’investisse en respectant ses engagements. C’est dans ce contexte que nous invitons humblement le président de la république de vite mettre en place les mécanismes de suivi de l’accord au risque de devenir obsolète.

La lenteur dans la mise en œuvre de l’accord générera des doutes pouvant enfreindre le processus. Pour ce faire, le président de la République doit agir avec sagesse, intelligence en prenant de mesures concrètes et immédiates car la moindre imprudence, erreur servira d’alibis ou de prétextes aux groupes armés non conventionnels de dénoncer l’accord et de se conforter dans leur position traditionnelle plus que juteuse.

Nous rappelons in fine au chef de l’état qu’il lui faut de la persévérance et du courage autour d’un programme cohérent et orienté vers la paix, la réconciliation nationale et le vivre ensemble car plus ça traîne…plus ça se complique.

Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.

Paris le 15 février 2019

Bernard Selemby-Doudou

Juriste, administrateur des élections