Centrafrique : la liberté d’expression dans les casernes militaires,
les officiers supérieurs de l’armée jouissent-ils des mêmes droits reconnus aux citoyens ?
La notion de la liberté d’expression qui parait très abstraite et ambiguë dans la pratique est une notion fondamentale définie par les déclarations universelles des droits de l’homme de 1948 - article 19-, la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et reprise dans le préambule des constitutions à travers le monde. Cette liberté d’expression est un corollaire de la liberté de la presse, d’opinion, de réunion, de manifestations etc… Ce droit fondamental et constitutionnel est reconnu à tous les citoyens à l’exception de certaines catégories professionnelles y compris l’armée.
C’est dans le contexte socio-politique tendu que traverse notre chère nation qu’un officier général de l’armée centrafricaine, ancien chef d’Etat-major s’est illustré par une déclaration citoyenne digne d’un réquisitoire qui met en péril le bilan du pouvoir. Cette prise de conscience tardive de cet officier général a mis en exergue la célèbre maxime du capitaine Jerry Rawlings ancien président de la république du Ghana qui déclare : "lorsque le peuple est écrasé par ses dirigeants avec la complicité des juges, il revient à l’armée de rendre au peuple sa liberté".
Cette maxime qui s’apparente à un appel à l’armée nationale de sortir des casernes est applaudie par les uns considérés comme détracteurs du pouvoir et critiquée par les autres. Ne maîtrisant pas les limites de la liberté d’expression surtout quand il s’agit d’un militaire, le citoyen lambda s’interroge :
- À qui profitent les agitations et la sortie médiatique de cet officier supérieur de l’armée centrafricaine ?
- Peut-on évoquer la filiation légitime de l’officier général au président du parti politique KNK pour justifier cette énième sortie médiatique?
- Pourquoi cette sortie médiatique fracassante à la veille des prochaines échéances électorales ?
- Ce réquisitoire accusateur est-il un tremplin pour l’officier général de se lancer en politique ?
- Sentant la fin du règne actuel, s’agit- d’un positionnement politique ou d’un repli tactique ?
- Soucieux de la sécurité du pays, n’était-il pas à l’Etat-major ou dans la sphère de décision quand un grand nombre de militaires sont admis à la retraite alors que le pays en avait encore besoin ?
- N’étant pas un citoyen ordinaire, qu’à t-il fait de son devoir ou obligation de réserve ?
- A l’époque glorieuse où l’officier supérieur était chef d’Etat-major de l’armée centrafricaine, pourquoi n’avait-il pas cette lecture politique pour défendre les intérêts vitaux du peuple ?
- Que compte faire ultérieurement notre supra officier général après cette déclaration incendiaire ?
- Si cet officier général compte des adeptes dans les rangs de l’armée nationale, quel sera l’avenir de cette armée encore fragilisée ?
Au-delà de ces innombrables questionnements du citoyen lambda, cette déclaration qui fait l’objet de notre analyse peut être assimilée à un acte de rébellion contre les autorités établies sachant qu’un officier général de l’armée centrafricaine même à la retraite est toujours soumis à l’obligation de réserve. Il est évident que la notion du droit de réserve n’est pas circonscrite par les textes législatifs et règlementaires en vigueur mais la tendance doctrinale punit de sanctions disciplinaires en tenant compte de la fonction occupée par le général, l’objet et la finalité de ses déclarations ainsi que le mode de diffusion de la déclaration.
En outre, après un tel discours inspiré de la maxime du capitaine Jerry Rawlings qui met en exergue la libération par l’armée d’un peuple opprimé par les autorités, nous tenons à mettre en garde contre toute prise de pouvoir par la force en violation des dispositions constitutionnelles car cette pratique remettra en cause nos fragiles acquis démocratiques et par voie de conséquence les efforts de la communauté internationale.
Pour finir, nous tenons à rappeler l’opinion nationale que le discours de notre officier général est salutaire même si la prise de conscience est tardive par rapport à la souffrance du peuple mais un chef militaire doit protéger le peuple quand il détient encore les leviers de sa politique à l’instar du défunt général ivoirien Robert Gueï alors chef d’Etat-major des armées qui avait désobéit au pouvoir de faire sortir l’armée pour contenir une violente manifestation de la population.
Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Paris le 6 mars 2020.
Bernard Selemby-Doudou - Juriste, administrateur des élections.