Centrafrique : le président du parti politique KNK s’impose-t-il comme une alternative absolue au régime agonisant de Touadera ?

Depuis le retour clandestin et ambigu du président fondateur du parti KNK, le paysage politique centrafricain s’est profondément métamorphosé. Le pouvoir solitaire, arrogant et agonisant qui refusait tout partage ou tout dialogue avec les forces vives de la nation voit à travers ce retour au bercail l’ombre de coups d’état fomenté par les puissances occidentales alors que le leader des libérateurs se proclame en homme de paix. Ces différentes sorties à la frontière de la provocation politique qui lui permettent de tester sa popularité donnent des insomnies au pouvoir au point d’infliger des sanctions collatérales mêmes aux conducteurs de taxi-motos qui s’improvisent sympathisants.

Il est notoire et évident que le rêve de tous les anciens chefs d’état poussés à l’exil est de reprendre le pouvoir par tous les moyens mais l’opinion publique ne cesse de s’interroger si le président du KNK est vraiment l’homme providentiel qui manquait à notre nation pour rattraper le train de l’émergence et par voie de conséquence le développement. Pour mémoire, il est important de rappeler qu’après son éviction du fauteuil présidentiel, le général déserteur a été placé sous sanction du conseil de sécurité de l’ONU.

En effet, le comité de sanctions du conseil de sécurité de l’ONU lui reprochait son soutien financier et logistique aux groupes miliciens « anti-balaka » et que ces actions visaient à empêcher le retour de la paix et de la cohésion nationale. Ces sanctions étaient assorties du gel de ses avoirs et une interdiction de voyager.

En dehors des sanctions onusiennes, un mandat d’arrêt diligenté par le parquet général a été délivré à son encontre le 29 mai 2013 pour crimes contre l’humanité et incitation au génocide, les mêmes crimes relevant du ressort de la compétence du tribunal pénal international.  A cela s’ajoutent entre autres les requêtes des familles Massi et Ndjader qui sollicitent du président de la république la mise en place d’une commission d’enquête internationale indépendante afin de scruter les circonstances de la mort de leur défunt père. Devant ce passé tumultueux qui a endeuillé plusieurs familles, le citoyen lambda s’interroge :

  • Le général déserteur constitue-t-il une alternative incontournable au régime agonisant de Touadéra ?
  • L’allégeance du COD 2020 au général fait de lui un rempart naturel à l’autisme du pouvoir ?
  • Quel est le projet de société sur lequel le général peut s’appuyer pour justifier un éventuel retour au pouvoir ?
  • Qu’est-ce qui peut légitimement refroidir les ardeurs de celui qui se présente aujourd’hui comme un acteur de la paix ?
  • Pourquoi créer délibérément un mouvement de foule dans la capitale sachant qu’il y’a une interdiction gouvernementale de s’assembler au-delà de 15 personnes. S’agit-il d’une provocation délibérée pour justifier une éventuelle riposte en légitime défense ?
  • Le réseau de trafic illégal d’armes démantelé en République démocratique du Congo et le vol d’arme qui a entraîné la mort d’un militaire français dans le camp Mpoko ont-ils un début d’explication dans ces différentes provocations ?
  • Les leçons et le recyclage rapide d’un régime autoritaire et clanique renversé suffisent-ils à remettre le président du parti KNK sur la selle en vue des prochaines échéances électorales ?

 

A l’opposé de l’ancien président dictateur d’Haïti Duvalier qui a été inculpé et jugé pour crimes à son retour dans son pays, notre général déserteur a profité de la largesse, du laxisme et de la médiocrité démesurée du pouvoir pour vendre sa notoriété en l’absence de baromètre de sondage et en conséquence alimenter un rêve utopique et illusoire de retour au pouvoir.

Cette analyse ne remet nullement en cause les combats légitimes et légaux du parti que nous respectons mais c’est le personnage de leur mentor qui constitue une grave entorse au droit en attendant l’analyse et la validation de sa candidature aux présidentielles par la cour constitutionnelle. Nous estimons à ce stade que la loi organique relative au statut des anciens chefs d’état serait la bienvenue pour encourager les anciens présidents à une reconversion après la retraite politique car tous les anciens chefs d’état apparaissent aujourd’hui comme ceux qui respectent les règles de la démocratie et que sous cette nouvelle étiquette ils rêvent une nouvelle étape de carrière politique en voulant tout changer sans rien changer.

A titre de rappel, un décret resté lettre morte aurait été signé dans les dernières heures précédant son départ en exil en 2013 remettant la sécurité de la ville de Bangui aux troupes françaises et sud-africaines. Pour finir, nous invitons les différents acteurs de la vie politique centrafricaine de bannir les velléités de prise de pouvoir par la force. Cette pratique qui appartient à une époque révolue est de nature à remettre en cause notre jeune démocratie et surtout de remettre en cause les efforts inlassables de la communauté internationale et des partenaires au développement.

Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.

Bernard Selemby-Doudou

Juriste, Administrateur des élections

Le 8 mai 2020