La crise sanitaire qui a secoué le monde en imposant un nouvel ordre n’a pas épargné la République centrafricaine. Les autorités établies en ont trouvé un prétexte parfait pour organiser les opérations électorales en cours au-delà du délai constitutionnel. Bernard Selemby Doudou@bsd
Pour ce faire, il urge de modifier les dispositions constitutionnelles pourtant rigides pour légitimer la manœuvre satanique. Cette rigidité constitutionnelle impose un délai pour réviser, exige une majorité qualifiée et surtout la réunion effective des deux chambres du parlement en congrès. Un groupe de parlementaires véreux à la solde du pouvoir ont initié une procédure pour modifier les dispositions des articles 35 et 68 de la constitution en vue de proroger le mandat du président de la République ainsi que des députés. Cette initiative non consensuelle consiste substantiellement à intégrer la notion de "force majeure" ou de "circonstances exceptionnelles" pour justifier les cas de pandémie comme le coronavirus.
Beaucoup de mouvements, agitations, d’interrogations ainsi que de voix se font entendre dans l’opposition et la classe politique pour dénoncer cette initiative qui constitue une entorse grave à la loi fondamentale. Conscient de l’illégalité, de l’illégitimité de la manœuvre et surtout de la mise en garde du groupe des 5, le pouvoir a changé de stratégies en proposant un second round émanant cette fois-ci d’une initiative présidentielle conformément aux dispositions constitutionnelles.
En effet, l’article 151 de la constitution dispose que : "l’initiative de la révision de la constitution appartient concurremment au président de la république et au parlement statuant à la majorité des 2/3 des membres qui composent chaque chambre". C’est dans ce contexte qu’un projet de loi de révision constitutionnelle a été discuté et délibéré en conseil des ministres puis transmis à l’Assemblée nationale pour examen. En attendant l’étude, l’amendement et l’éventuel vote du projet de loi, le citoyen lambda s’interroge :
- Les cours magistraux du ministre conseiller spécial du président de la République sont-ils programmés à desseins pour distraire l’opinion publique du tripatouillage de la constitution ?
- Ce projet de loi portant modification de la constitution est-il opportun au regard des prévisions constitutionnelles ?
- Pour s’inscrire dans la logique de la pensée du législateur qui a délibérément sacralisé le caractère rigide de la constitution, pourquoi le président de la république n’opte-t-il pas pour une consultation référendaire pour légitimer la modification de la constitution ?
- Pour quelles raisons le pouvoir impose-t-il au parlement d’examiner et de voter le projet de loi avant le 30 mai 2020 en violation flagrante du principe de séparation de pouvoirs si précieux à Montesquieu ?
- Existe-t-il un agenda caché qui justifie cette injonction calendaire ?
- Le pouvoir est-il conscient que la modification de la constitution à la veille des échéances électorales soit toujours source de polémiques ?
- Le pouvoir est-il disponible pour assumer les conséquences politiques et juridiques de la modification de la constitution ?
Fort de ce qui précède, nous tenons à rappeler qu’une demie douzaine des états africains à l’instar de la Côte d’Ivoire et du Niger sont dans les mêmes conditions que nous et la modification de la constitution pour cause de coronavirus n’est pas à l’ordre du jour. La constitution étant une œuvre humaine est toujours perfectible en vue de son adaptation aux réalités du moment mais le législateur nous oppose la rigidité de la constitution à travers les articles 152 alinéa 2 et 153.
En effet, ces clauses constitutionnelles interdisent l’extensibilité du nombre, de la durée du mandat et la modification de la constitution en cas d’atteinte à l’unité et l’intégrité du territoire national…suivez mon regard. L’histoire nous a déjà renseigné sur les passages en force créant une entorse à la loi fondamentale. Le débat multiforme des juristes tendancieux ne suffira pas à résoudre cet imbroglio car dans le combat de la protection de l’intérêt supérieur de la nation, seul le respect de la lettre de la loi fondamentale demeure l’unique référence.
Pour finir, nous invitons humblement la noble Cour constitutionnelle qui est à la fois un organe consultatif et juridictionnel, de remplir pleinement sa mission tout en étant neutre afin d’assurer la sécurité juridique et de garantir notre démocratie saine et prospère. Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Bernard Selemby Doudou
Le 22 mai 2020