Dans le cadre de la recherche de solutions durables à la longue crise politico-militaire centrafricaine, un accord de paix baptisé solennellement "accord de Khartoum" a été initié par l’Union africaine -UA-, paraphé à Khartoum et signé dans la capitale centrafricaine entre le gouvernement et les groupes armés. Bernard Selemby-Doudou@bsd
Ce dit accord est un engagement juridique qui génère des devoirs et des obligations entre les cocontractants mais assorti de sanctions prévues par les dispositions de l’article 35. Par ailleurs, un rapport du représentant spécial de l’ONU en Centrafrique confirme plus d’une cinquantaine de violations des dispositions dudit accord par les groupes armés. A l’approche des prochaines échéances électorales, la guerre de leadership entre les groupes armés animée par des velléités d’occupation géostratégique du territoire a poussé les uns à s’affronter entre eux et les autres à étendre leur homogénéité le long de la frontière tchado-soudanaise.
C’est en se vadrouillant sans repères hors des frontières centrafricaines, qu’un illustre chef de guerre, le plus farouche opposant/militaire au régime de Bangui a été arrêté par les autorités tchadiennes et transféré à Ndjamena. Après un communiqué officiel du gouvernement tchadien, le gouvernement centrafricain a immédiatement officialisé ses intentions de demander l’extradition du chef milicien.
Par définition, l’extradition est une procédure juridique qui consiste à livrer sur demande d’un État requérant une personne condamnée ou poursuivie pour exécuter sa peine ou répondre de ses actes devant les tribunaux compétents.
Cet acte d’entraide judiciaire internationale présuppose l’existence d’un accord préalable entre les 2 États en respectant le principe de légalité c’est à dire "pas d’extradition sans texte". Pour déclencher la procédure d’extradition, le procureur de la république doit adresser une demande au ministre de la justice qui la transmet à son tour au ministre des affaires étrangères. La demande officielle d’extradition se fait par voie diplomatique après validation de la démarche par le conseil des ministres.
Pour tenter d’éclairer la lanterne de l’opinion nationale, le citoyen lambda s’interroge :
- Dans la cacophonie politico-militaire actuelle, cette demande d’extradition a t-elle une chance d’aboutir ?
- S’agit-elle d’une extradition ou d’une expulsion pour cause d’entrée illégale sur le territoire tchadien ?
- Les autorités centrafricaines ont-elles l’intention de le déférer devant la Cour Pénale Internationale -CPI-, la Cour Pénale Spéciale de Bangui (CPS) ou devant les tribunaux de droit commun ?
- Quelles seront les conséquences logiques de l’extradition du ministre/rebelle sur le processus électoral sachant que ses troupes sont dans la nature avec armes et bagages ?
- En l’absence formelle d’un mandat d’arrêt préalable, la politique sous régionale va-t-elle influencer la décision d’extradition ?
- La température diplomatique entre les deux États sera-t-elle déterminante pour trancher ?
- Le sort réservé à l’extradé Charles Massy par le précédent régime encouragera-t-il les autorités tchadiennes à extrader en plus un autre prisonnier ?
- Le président du Congo-Brazzaville, personnalité respectée et audible de la sous-région sera-t-il indifférent à l’extradition de son protégé ?
- Les puissances occidentales qui ont des intérêts vitaux en Centrafrique vont-elles interférer sur la décision pour alimenter la guerre froide ?
Ne perdons pas de vue que le chef de guerre arrêté au Tchad demeure toujours un ministre de la république car le dernier décret portant nomination des membres du gouvernement n’a pas encore été rapporté. En outre, le non-respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales par le pays requérant peut faire obstacle à la procédure d’extradition. Cela est également valable lorsque l’Etat requérant qualifie l’infraction de crimes politiques ou applique encore la peine de mort.
Dans cette optique, il est important de rappeler qu’après les indépendances, la Centrafrique s’est rapidement dotée d’une législation pénale qui s’est matérialisée par la loi n* 61-239 du 18 juillet 1961 portant création du code pénal. L’article 6 de cette dite loi énumère les différentes peines criminelles de droit commun en plaçant la peine de mort à l’échelon supérieur. Cet obstacle à l’extradition est d’autant plus confirmé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Soering/Royaume-Uni du 7 juillet 1989. En effet, cet arrêt interdit l’extradition si le délinquant encourt la peine de mort considérée comme un traitement inhumain et dégradant. Au-delà des principes juridiques liés à la notion d’extradition, attendons de voir les tractations diplomatiques de coulisse.
Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Bernard Selemby-Doudou administrateur des élections
Le 22 novembre 2019