Centrafrique : un dialogue politique sur initiative de l’Union africaine
est-il compatible avec l’avancée militaire et territoriale des groupes armés ?
Depuis la prise de pouvoir de force en 2013 par les groupes armés coalisés et le retour à l’ordre constitutionnel, des initiatives de paix à travers des dialogues inter-centrafricains ont été organisées avec l’appui et le soutien de la communauté internationale.
L’histoire retiendra que nonobstant ces différents accords politiques, l’éternelle crise centrafricaine n’a connu un début de résolution que de s’empirer. La sécurité ou la stabilité du pays, la réconciliation ou la cohésion nationale dont le peuple a fortement besoin s’éloigne dangereusement laissant la place au doute, à la méfiance des populations sinistrées et à l’indignation.
Le nombre des groupes armés a sensiblement progressé avec une occupation territoriale estimée à 80%. Les récentes hostilités militaires de Bakouma et Bambari confirment à suffisance l’impuissance et l’amateurisme du gouvernement, la défiance de la population et par la même occasion la suprématie dans les combats des groupes armés non conventionnels. C’est dans ce climat délétère et incompréhensible que se profile à l’horizon un nouveau et peut être un dernier dialogue politique abrité par la capitale soudanaise et placé sous l’égide de l’Union africaine -UA-.
Ce énième dialogue politique qualifié de la dernière chance est précédé de l’arrivée à Bangui d’une haute mission internationale de paix composée des experts de l’ONU, de l’Union africaine et des ministres des affaires étrangères des pays de la sous-région pour lancer les travaux préparatoires du dialogue tant attendu. Bernard Selemby-Doudou@bsd
Il est important de rappeler qu’un dialogue politique par définition est une discussion minutieuse entre les différents protagonistes en vue d’un compromis en arrondissant les angles. Cet éventuel accord politique passera nécessairement par la cessation temporaire et effective des hostilités militaires sur le terrain. Contrasté par les propagandes, les tapages médiatiques du gouvernement avec les réalités militaires du terrain en passant par l’issue incertaine du dialogue politique de Karthoum, le citoyen lambda s’interroge :
- Qu’attend de ce dialogue notre super gouvernement qui ne cesse de se gaver d’autosatisfactions ?
- Quelle est la particularité de ce dialogue -qui semble mal parti- par rapport aux autres accords non respectés et non appliqués ?
- Le pouvoir va-t-il négocier avec qui et pourquoi si ce n’est un dialogue de sourds ?
- A l’instar des accords de Libreville de 2012 qui a abouti au partage de pouvoir et au final au coup d’état de 2013, pensez-vous que le dialogue de l’Union africaine est l’ultime voie de sortie de crise ?
- Ce sommet n’a-t-il pas le parfum du "déjà vu" avec un gouvernement d’union nationale synonyme de cogestion avec les fossoyeurs de la république ?
- Avez-vous oublié que les mêmes causes placées dans les mêmes conditions produisent les mêmes effets ?
- S’agit-il d’un véritable dialogue inter-centrafricains assorti de compromis ou d’un sommet d’imposition de la volonté occidentale ?
- Ce dialogue va-t-il entériner ou donner un fondement juridique au processus de balkanisation de fait du pays entamé depuis fort longtemps ?
- Au delà toute bonne volonté, peut-on négocier sereinement l’issue de la crise centrafricaine quand les groupes armés non conventionnels sont militairement en pole position ?
- Comment des combats avec corollaire la prise de la ville de Bakouma avec de nombreux déplacés peuvent-ils être compatibles avec un dialogue ?
- S’agissant des interrogations connexes, le sort des échéances électorales de 2020 avec la réélection tant souhaitée et tant proclamée du président de la république se joue-t-il maintenant ?
- Pour clore les séances de questionnement, quelles sont les réelles motivations du choix de la capitale soudanaise pour abriter les pourparlers sachant que son président/dictateur est sous sanction de l’ONU ?
Fort de ce qui précède et en attendant l’issue du prochain dialogue politique, nous relevons que le pouvoir a commis une erreur de diagnostic sur la profondeur et la complexité de la crise. La cause qui a contribué à complexifier davantage la crise n’a pas été prise en compte. En conséquence, le statuquo risque de conduire à un glissement de calendrier des prochaines échéances électorales et à fortiori un pouvoir illégitime qui va rajouter une autre crise à celle déjà existante.
Pour finir, nous soulignons que le pourcentage d’échec de ce dialogue politique est supérieur à la moyenne compte tenu des ambitions démesurées des groupes armés non conventionnels et la volonté de non partage du pouvoir par les autorités. Le président de la République qui est un fin connaisseur des mathématiques et surtout de la géométrie doit comprendre que deux droites parallèles ne peuvent se croiser à l’infini. Pour leur donner une chance de se croiser et d’atteindre son épilogue, les parties prenantes à la crise doivent arrondir les angles c’est à dire mettre de l’eau dans leur vin en vue d’un accord consensuel dans l’intérêt supérieur de la nation.
Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Paris le 11 janvier 2019
Bernard Selemby-Doudou - juriste, administrateur des élections