Par Felix Yepassis Zembrou
Radio Bangui, à la date de sa création le 8 décembre 1958, au lendemain de la proclamation de la république, occupait les locaux de l'actuelle Ambassade des Etats-Unis d’Amérique face à la brasserie Mocaf à Bangui. Par la suite, la station déménagea dans l'emplacement situé au bord de l'Oubangui, à proximité de la Chambre de Commerce et de l'Industrie.
Les émissions, diffusées en ondes courtes, étaient assurées par des Centrafricains, encadrés de quelques expatriés français issus de l'OCORA -Office de coopération radiophonique-, ancêtre de Radio France.
Depuis lors, elle est considérée comme la Maison mère, autrement dit la pépinière d'où sortiront nombre de dignitaires de la nation, parmi lesquels un chef d'Etat, des ministres et autres hauts cadres de l'Administration centrafricaine. Un lieu de prédilection aussi pour les coups d'Etat. C'est là que le Colonel Jean-Bedel Bokassa, le nouvel homme fort du pays, fit sa déclaration dans la nuit de la St Sylvestre 1966 : " Centrafricaines, centrafricains, depuis ce matin à 3 heures 20, votre armée nationale a pris le pouvoir de l'Etat. Le gouvernement Dacko est démissionnaire. L'heure de la justice a sonné. La bourgeoisie de la classe privilégiée est abolie. Une ère nouvelle d'égalité entre tous est instaurée !"
A noter que durant cette fameuse nuit, l'équipe d'antenne a failli être passée par les armes n'eut été l'intervention providentielle du colonel Alexandre Banza, pour éviter la bavure. Par contre, la sentinelle de la radio a été froidement abattue par un soldat pour avoir voulu défendre l'accès de la station à des "intrus". L'homme n'avait que son arc et ses flèches.
Hormis ce tableau sombre, Radio Bangui agrémentait ses auditeurs par des émissions éducatives et culturelles ainsi que des variétés musicales dont "Le concert des auditeurs" se taillait la part du lion notamment avec les chansons de l'orchestre, Centrafrican Band de Prosper Mayele, Rodolphe Bepka et Raymond Pendali. Leur morceau, Mo gbi, connut un succès retentissant :
"Mo gbi, Mo gbi
Tata Mayos aye mo ape
Tata Beckers aye mo ape
Lo ye ti ba mo na le ape
Baba ti mo a hon ndoni..."
Puis en 1960, la chanson dédiée à l'Indépendance :
" Indépendance na Bangui RCA e
E sala nguia a na popo ti e...
Boganda a tene guiriri, Zo kwe Zo
Zo kwe Zo na ya ti RCA..."
A cette époque, les postes récepteurs étaient rares. Aussi, l'on avait installé dans les différentes écoles de la capitale -Lakouanga, Koudoukou, Ngaragba...- des hauts-parleurs afin de permettre aux auditeurs des quartiers environnants de suivre les programmes de la radio. Sur le plan musical, Jean-Marc Lessoua, Jean Magale, Dominique Eboma etç étaient au zénith avec leurs chansons moralistes. Dans la foulée, de jeunes formations musicales virent le jour. Il s'agit entre autres de Young Jazz, puis Rocka Fiesta de Charlie Perriere et Los Negritos de Georges Ferreira.
A noter que le clou des attractions radiophoniques était l'émission publique "Silence Antenne", animée par Pierre Danloup et Yvonne Solal, avec une rubrique "radio crochet" consacrée aux vedettes en herbe. Elle avait lieu au Palace Hôtel, l'un des endroits sélects de la capitale, avec le Rock-Hôtel, dominant la rivière Oubangui, où les hors-bords et les skieurs nautiques attiraient sans cesse les foules de même que les compétitions des karts, place de la Republique au Point Zero. C'était aussi là que se déroulaient les défilés du 1er décembre.
La radio était présente à d'autres rendez-vous telles que les Kermesses organisées, au jardin municipal -face à l'Enerca, derrière l'ex Assemblee nationale-, avant de prendre plus tard l'appelation de Kermesse aux Chapeaux, dans l'enceinte de la Cathedrale N.D. de Bangui. Elle assurait également la retransmission en direct de la soirée ou "Nuit des Basketteurs", grand événement sportif destiné à récompenser les meilleurs joueurs et joueuses de l'année. Une occasion pour les deux géants de la musique centrafricaine moderne, le Vibro Succes de Beckers et le centrafrican Jazz de Prince Mayos d'assouvir leur rivalité fratricide à travers des chansons à succès.
Autre fait marquant de cette époque, Jacques Mbilo, le "1er Pilote centrafricain" fraichement rentré de France, eut droit, à la demande de Bokassa, à une chanson de l'orchestre centrafrican Jazz laquelle était régulièrement diffusée sur les antennes de la radio :
"Jacques Mbilo, o, Jacques Mbilo,
Ga mo yo nga mbi, na ndeke ti mo o..."
Jacques Mbilo n'a plus touché à la manette d'un avion sinon qu'il a été un grand technicien à la radio jusqu'à la fin de sa vie.
Mireille Kotalimbora, l'une des premieres voix féminines se souvient de ses débuts à la radio. J'ai été recrutée comme pigiste après mon BEPC en 1963. Je travaillais pendant les week-ends et la période des vacances scolaires aux programmes d'abord puis au Journal parlé et à la discothèque, en remplacement de Mme Koba, en congé" dit-elle, avec une pointe de nostalgie. Et pour cause, c'est à la radio qu'elle a rencontré l'homme de sa vie, le capitaine André Kolingba, nouvellement promu. Celui-ci animait le magazine des Forces Armées centrafricaines ainsi qu’une émission de musique classique dont la mère de Mireille était une fidèle auditrice. Le jeune capitaine deviendra par la suite, co-directeur de la Radio.
André Sondha-Boui, quant à lui se rappelle comme si c'était hier, de la pièce de théâtre radiophonique qu'il avait jouée avec ses collègues du Collège Emile Gentil pour célébrer la mort de Chaka.
Signalons que la radio était la chasse gardée de Bokassa. Il y exerçait un contrôle accru au point qu'il suivait toutes les émissions, même depuis l'étranger, grâce à son poste récepteur satellite de marque "Grundig" qui l'accompagnait partout. Cet attachement pour la radio, s'explique sans doute par ses attributions dans l'armée : chargé des Transmissions. Le revers de cette passion, c'était aussi la prison de Ngaragba que beaucoup de confrères ont connue.
Pour la petite histoire, le 22 février 1970, la radio organisa au cinéma le Club , l'émission publique, Silence Antenne, consacrée cette année là, au 49e anniversaire de Bokassa. Une occasion que celui-ci voulait saisir pour manifester au peuple, son amour paternel, par des gestes spectaculaires.
Le premier geste fut pour un lycéen, Georges Singa Ngakoutou, qui au nom de la jeunesse centrafricaine, avait souhaité santé et longue vie au Président de la république. Emu, Bokassa monta sur la scène. Et, à la surprise générale, il sortit une liasse de coupures de billets de banque à son effigie qu'il remit au jeune homme, en comptant avec le public : Un bokassa ! Deux bokassa ! Trois bokassa -un billet de 1 bokassa équivalant à dix mille Fcfa. Au 15e billet de bokassa, ce fut le délire. Singa se retrouva avec la bagatelle de 150 000 Fcfa.
Le second geste présidentiel alla à l'endroit d'une charmante petite métisse, Nicole, dont la voix angélique, au cours d'une chanson, avait conquis Bokassa. Pour récompenser la gamine, Bokassa ordonna que le père, Clément Hassen, un proche collaborateur de l'ancien prédident Dacko, détenu à la prison de Ngaragba depuis le coup d'Etat de la St. Sylvestre, soit libéré.
Les émissions :
⁃ Sante Nutritionnelle . Jean-Marie Kobozo
⁃ Santé Magazine. Gaston Gresenguet
⁃ Disques Inédits.
⁃ Inter-Disques. Joaquim Da Silva
⁃ A cœur ouvert
⁃ Musique Classique : Capitaine André Kolingba
⁃ Magazine des Forces Armées Centrafricaines : André Kolingba, Abel Nado.
⁃ L'Anglais par la Radio : Jefferson Kenguelewa, Pelofe, Cesar Emmanuel
Les émissions phares :
⁃ Concert des auditeurs (ou disques demandés).
⁃ A Ita Ndo a Awe de Raymond Pabou
⁃ Bientôt midi de Bernard Lougbia
⁃ Inter-Disques de Joaquim Da Silva.
⁃ Silence Antenne (émission publique)
⁃ Direction des programmes : Yvonne Solal (expatriée), Pierre Danloup (expatrié), David Nguindo, Joaquim Da Silva, Philippe Wengaye, Delphine Nzouta, Cherubin Raphaël Magba Totama, Eugene Sambia, Daniel Langandi, Bernard Lougbia, Arnauld Dondy, Raymond Pabou, Felix Tagonendji, Lucien Dambale, Clément Kokouendo, Jean Magale, Amos Billy Elogo (d'origine camerounaise), Angeline Regnier, Jacqueline Tanga, Guy Tampon, Sam Yapele, Julien Ngoy, Guillaume Yambaka, Emmanuel Piama, Françoise Fernande Sackanot, Fanny Evoko, Hélène Bolenga,Henri Gustave Hitaye.
⁃ Direction de l'information : Pierre Pouillon (expatrié), Claude Porsella (expatrié), Victor Teteya, Henri Koba, Christian Toleque, Marc Bedan, Raymond Nzengou, Jean-Jacques Mekondongo, Fred Patrice Zemoniako, Pauline Mbamba, Albert Willybiro-Passi, Ruth Roland, Jean Magale, Eugène Mbaga, Yabouet-Bazoli, Mireille Kotalimbora, Charlotte Mbembe, Danielle Darlan, Pauline Mbamba, Jean-Max Anezot, Hubert Djamany, Raphaël Nambele, Bernard Rekian, Massambat-Ngolio, Florence Edihat, Alexandre Casanova, Tchakpa Mbrede, Felix Y. Zembrou, Guy Tampon, Marien Mbomi-Siopathis, Gilbert Fila, Nicaise Gbakobo, Fred Bangue, Blaise Yeho, Pacot, Goke, Basile Mabidi, Dede-Enza, Soronoul, Stephane Gaombalet, Igor Follot, Gilbert Degoto, Vermond Tchendo, Albert Fio, Jacques Mberio, Jean Malet ( le premier à introduire le reportage sportif en sango).
⁃ Services techniques : Jacques Mbilo, Mercier (expatrié), Léon Zouma, François Kpakata, Ferdinand Zébégué, Alexandre Tegui, Roger Guiath, Gaston Tim Toléqué, Dieudonné Bina Ngonda, Louis Guebana.
⁃ Les premiers directeurs généraux : Victor Teteya, Edouard Fatrane, Henri Koba, Raymond Nzengou...Delphine Nzouta, Clement Thierry Tito, Jacques Mbilo, Bernard Rekian, Christian Aime Ndotah, David Gbanga, Pauline Gbianza,Jesus Tarcyl Bomongo.
A signaler que Djento, un sympathique chauffeur au visage balafré, originaire du Tchad, conduisait le véhicule des reportages et assurait également le ramassage de l'équipe d'antenne.
(Tous nos hommages et affectueuses pensées aux nombreux confrères et consœurs qui ont su préserver l'image de notre Maison mère, Radio Centrafrique, à travers le temps et l'espace ce, malgré les aléas de la vie).
PS. Désolé pour certaines omissions indépendantes de ma volonté.
Félix Yepassis Zembrou
Les vétérans de la Maison mère, les anciens ministres Clément-Thierry Tito et Tchakpa Mbrede.
Le 24 février 2018