Extrait du rapport The Sentry

Source: https://thesentry.org/reports/state-of-prey/

"Touadéra soutenu par des réseaux criminels.

Afin d’assurer la réélection du président et d’augmenter leurs gains, l’élite dirigeante du pays s’associe à des groupes liés au crime transnational. Certains réseaux criminels tentent de faire basculer les élections en faveur du président, y compris par le biais de fraudes électorales, afin de s’attirer les bonnes grâces du régime. La RCA est confrontée à la résurgence du blanchiment d’argent, du trafic d’or, de diamants, d’armes, de passeports diplomatiques et de drogue. La corruption à grande échelle de l’élite dirigeante permet aux réseaux liés au crime organisé transnational et au financement du terrorisme d’y prospérer depuis plusieurs années.

Depuis que Touadéra a accédé au pouvoir en 2016, le régime a accordé à des hommes d’affaires étrangers des passeports diplomatiques et des postes importants, tels que celui de conseiller spécial du président ou de consul honoraire. La réélection de Touadéra renforcerait l’emprise de ces acteurs sur le pouvoir, leur permettant de garantir le succès de leurs affaires à long terme sans être inquiétés par la justice. Une source diplomatique basée à Bangui s’est inquiétée de la situation en indiquant à The Sentry que la Centrafrique est en passe de devenir "un État voyou" gouverné par la grande criminalité internationale. Le cas d’Aziz Nassour illustre bien ce constat.

Cet homme d’affaires libanais, que l’ONU et des observateurs indépendants ont lié au financement du terrorisme et au trafic de diamants dans des zones de conflit, a développé ses affaires tout en devenant une personne d’influence en RCA. Nassour entretient des liens étroits avec le président centrafricain, qui est intervenu pour lui accorder des marchés publics pour la numérisation des pièces d’identité, selon des sources proches du dossier.

Ces marchés publics permettraient à Aziz Nassour de dissimuler ses trafics de diamants, d’armes et de drogue. En échange de ces contrats, des sources ont indiqué que Nassour a menacé de mort ceux qui viendraient ébranler son plan de réélection du président Touadéra dès le premier tour des élections présidentielles. "L’enjeu de ces contrats, c’est une plateforme de blanchiment d’argent et faire gagner les élections", a déclaré une source diplomatique basée à Bangui. 

Dans une longue lettre en réponse à des questions posées par The Sentry, Aziz Nassour a nié ces accusations. Il a notamment démenti une interférence ou un rôle quelconque dans le processus électoral, et a refusé de reconnaître toute intervention de sa part ou de celle du président dans les appels d’offres émis par le gouvernement, ainsi que toute implication éventuelle dans les secteurs de l’or et du diamant. Par le passé, Aziz Nassour a été impliqué dans des activités de blanchiment d’argent et d’importants trafics de diamants dans les zones de conflit en République démocratique du Congo, au Libéria et en Sierra Leone.

Il a également été accusé dans les médias de participer au financement du Hezbollah, groupe chiite basé au Liban, et du groupe intégriste Al-Qaïda, accusations qu’il nie avec véhémence. Une cour pénale belge l’a condamné par contumace à six ans de prison en 2004 pour son rôle "à la tête d’une organisation criminelle qui fournissait des armes et des ressources logistiques aux pays africains en guerre, en échange de ‘diamants de sang’. Les produits étaient ensuite blanchis… via le marché du diamant d’Anvers". La cour a également conclu qu’Aziz Nassour alimentait des conflits meurtriers et des violations des droits de l’homme.

Utilisant alors des entreprises actives en RCA, cet homme d’affaires libanais a longtemps blanchi des diamants provenant des groupes rebelles congolais, selon le groupe anti-corruption Global Witness. En réponse aux questions posées par The Sentry, Nassour a nié avoir entretenu des liens étroits avec des dictateurs africains, ou d’avoir participé à des activités criminelles quelconques. Bien que le Conseil de sécurité de l’ONU ait imposé à Aziz Nassour des sanctions financières et un gel des avoirs en 2004, ils ont depuis été levés. Les condamnations et les sanctions ne semblent pas dissuader Aziz Nassour qui, si les accusations se confirment, opère désormais en Centrafrique en tant qu’allié proche de Touadéra.

En 2017, en tant que président directeur général de l’Almadina Group, société basée à Oman, Nassour a remporté un marché public stratégique pour numériser les pièces d’identité émises par le gouvernement centrafricain. Des sources ont indiqué qu’Aziz Nassour a versé des pots-de-vin à des membres haut placés du gouvernement afin d’écarter la concurrence. Dans la version initiale du contrat non signé, Almadina prévoyait de produire entre 80 à 110 millions de pièces d’identité officielles, et de contraindre les citoyens centrafricains à payer jusqu’à quatre fois plus cher que les tarifs proposés par les concurrents pour des documents officiels. 

Ces pièces d’identité sont nécessaires pour pouvoir voter. En réponse aux questions posées par The Sentry en septembre 2020, Nassour a indiqué : "Je ne suis pas affilié à ce groupe -Almadina- et je n’ai pas de parts dans cette société, mais je suis un ami proche du propriétaire. J’assiste le propriétaire sans être rémunéré -en RCA-". Il a également insisté sur le fait que le président Touadéra ou d’autres membres du gouvernement ne sont jamais intervenus dans l’attribution du contrat public à Almadina, précisant que la société avait remporté le contrat suite à "une offre soumise sous scellé conformément à l’évaluation du régime des marchés publics de la Centrafrique" .

A quelques mois des élections, des membres du parti au pouvoir, le MCU, auraient distribué des certificats de naissance aux sympathisants du président, mais le pays n’avait toujours pas émis de pièces d’identité depuis 2013.Les détenteurs de ces documents peuvent obtenir des reçus leur permettant de voter pour le président Touadéra et les candidats du MCU. Les membres de la famille d’Aziz Nassour ont créé quatre sociétés en Centrafrique depuis 2016 : Sahar Diam, Sahar Bi, Nassour Diam et Sahar Mining. Sahar Bi se spécialise dans la confection de pièces d’identité et les autres sont des bureaux d’achats de diamants et d’or.

Bien qu’elles soient officiellement inactives, des sources indiquent que Nassour Diam est impliqué dans des trafics de diamants.92 Cependant, Aziz Nassour a indiqué dans sa lettre qu’il n’était en aucun cas lié à ces sociétés et leurs activités. Il a ajouté qu’il ne travaille ni dans le secteur des diamants en RCA, ni dans ceux de l’or, de la drogue et des armes.

Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, Nassour se présente pourtant comme un "homme d’affaires". Il ajoute : "Je fais dans tout : l’investissement touristique, des diamants, des mines, dans beaucoup de domaines ". Le secteur du diamant centrafricain abrite de nombreuses activités illicites qui participent au conflit armé. Plus de 80% de la production de diamants du pays est exportée par les réseaux de contrebande- soit environ 270 600 carats en 2017. Nassour clanHezbollahClan nassour

Le 19  octobre 2020