"Beaufs", "racistes", "pas éduqués"... les "gilets jaunes" n'ont pas échappé aux insultes ni au mépris, note Nicolas Vidal. Selon lui, cette attitude est caractéristique d'une élite libérale et mondialisée qui ne comprend ni n'écoute plus les classes populaires. Il est le fondateur et directeur de publication de Putsch.media, "média culturel et franc-tireur"
Les "gilets jaunes" ont pris les devants de la contestation sociale et font entendre la désespérance humaine d'une France oubliée. Le mouvement, même s'il a bénéficié de la puissance des réseaux sociaux, s'est forgé dans un temps long de souffrance, d'abandon et de précarité grandissante. Alors que Facebook est souvent décrié pour enfermer les gens dans un individualisme forcené, il a permis de fédérer en quelques jours seulement des dizaines de milliers de citoyens, d'agréger en un temps record une somme colossale de ressentiments et de donner vie à une vindicte populaire de très grande ampleur.
Aujourd'hui, une partie de la classe politique et médiatique tente de décrédibiliser ce mouvement populaire et d'y donner les contours d'une fronde qui se radicalise, menée par une insignifiante minorité de citoyens, selon elle.
Le mouvement s'est forgé dans un temps long de souffrance, d'abandon et de précarité.
Elle ne parvient plus, aujourd'hui, à dissimuler son profond mépris de classe pour cette France des territoires et d'une certaine manière son inquiétude devant cette mobilisation qu'elle ne comprend pas.
Ce mouvement est une vague populaire sans précédent, qui s'est construit petit à petit depuis des années, de façon éparse, individuelle et solitaire.
Les "gilets jaunes" incarnent cette France abandonnée, cette France des périphéries, évoquée par le géographe Christophe Guilluy depuis plusieurs années maintenant.
Cette France, considérée par le Chef de l'État lui-même comme celle des Gaulois réfractaires au changement, se soulève aujourd'hui partout dans l'Hexagone, à sa façon, avec ses moyens, forte de sa camaraderie, de sa fraternité mais aussi de ses excès et de ses débordements.
Cette France a mis délibérément hors-jeu les syndicats ainsi que tous les partis politiques de droite comme de gauche, auxquels elle ne croit plus, jusque dans leurs antennes locales. La voix du peuple couvre aujourd'hui complètement le ronronnement politique.
La méfiance envers les partis connaît son paroxysme.
Et la méfiance envers les partis connaît son paroxysme, incarnée par ce rejet massif de la structure politique tous azimuts qui encadrait jusqu'alors la démocratie.
Le naufrage politique de Marine Le Pen, lors du débat du second tour de la présidentielle, a aussi laissé une partie du peuple français en situation d'abandon dans une voie sans issue politique. Marine Le Pen a pu jusqu'au dernier moment apparaître comme le dernier recours, à tort ou à raison, à cette désespérance de par sa virginité électorale. Et non pour des aspirations extrémistes, du moins, pour la plupart de ses électeurs. Elle fut en réalité la soupape de sécurité politique qui a implosé lors des présidentielles, que n'ont pas vu venir les responsables politiques français.
Aujourd'hui, l'abysse entre cette France d'en bas et la France d'en haut apparaît au grand jour depuis ce samedi 17 novembre 2018. Elle met en exergue deux France, face à face, qui ne se comprennent plus et qui dérivent au fil des jours vers un sentiment de détestation et de profond mépris réciproque. Cette France progressiste, libérale, aisée, mondialisée et confortablement installée dans les grandes villes, incarnée notamment par les élites médiatiques et politiques et cette France périphérique, plus éloignée géographiquement, enracinée, considérablement fragilisée et paupérisée par le tournant ultra-libéral de ces vingt dernières années et qui souhaite sauver par-dessus tout sa dignité sociale, familiale, individuelle, son mode de vie et ses traditions.
Lorsqu'on écoute sur certains grands médias le traitement infligé à ce mouvement populaire des "gilets jaunes", on peut s'indigner du mépris et de la condescendance des uns, et le discrédit assumé des autres. Certes, il y a des débordements et on ne peut pas le nier. Mais réduire le mouvement des "gilets jaunes" à des aspirations racistes, extrémistes, violentes voir antisémites est, d'une part, un mensonge outrageant fait à ces femmes et à ces hommes, et d'autre part, il met lumière un aveuglement grave de ce qui en train de se jouer en France.
Depuis quelques jours, des éditorialistes de renom sont arc-boutés sur des analyses péremptoires sorties tout droit du marigot politique parisien, qui, en aucun cas, ne peuvent s'appliquer à cette France à laquelle ils ne parlent plus depuis longtemps. Et si l'on devait encore s'en convaincre, la déconnexion n'est pas le propre des élites politiques.
Les revendications ne sont ni "éparses, ni contraires, ni contradictoires".
On peut s'indigner du mépris et de la condescendance de certains vis-à-vis des "gilets jaunes".
Les "gilets jaunes" aspirent à une nouvelle justice sociale et au droit à vivre dignement de leur travail et des efforts consentis pour l'État, face à l'impôt et aux règles de vie commune, qui forgent une nation dans la redistribution des richesses. Cependant, la précarité grandit et la redistribution ne semble plus se faire, du moins, pas pour eux.
Aujourd'hui, les "gilets jaunes" sont en train de fédérer un peuple qui s'était oublié, désagrégé, endormi et qui demande aujourd'hui à être entendu, écouté et à nouveau considéré comme seul responsable de sa souveraineté. Car un peuple n'a ni raison, ni tort, un peuple décide. Et les "gilets jaunes" ne sont rien d'autre que la voix du peuple français qui tente de reprendre en main le destin de sa souveraineté.
Le 25 novembre 2018