"La culture, c’est ce qui demeure dans l’homme lorsqu’il a tout oublié".
Cet ensemble de références reliées entre elles permet de former un système universel cohérent. La religion quant à elle propose une explication de l'univers et intègre l'ensemble de ses manifestations telles qu'elles sont perçues depuis le berceau. Dans ce rôle de pédagogue, les religions constituent les principaux acteurs de l'histoire. Malheureusement, il est donné de constater que certains indigènes ont tourné le dos à la religion de leur ancêtres. La voie pour le salut des âmes a servi de prétexte pour que tout bascule au profit des religions venues de la méditerranée.
"Lorsque les Blancs sont venus en Afrique, nous avions les terres et eux, ils avaient la Bible. Ils nous ont appris à prier les yeux fermés, lorsque nous les avons ouverts, les Blancs avaient la terre et nous la Bible (…) Comment les africains d'aujourd'hui n'arrivent toujours pas à comprendre cette réalité et faire table rase de toutes ces religions colonisatrices. Quel tristesse de voir l'Afrique adhérer avec autant de ferveur à cette religion chrétienne si injuste et malhonnête (…)" En Côte d’Ivoire, le Bossonisme est encore vivace dans nos esprits, malgré son long sommeil de sage. Et l’on se rappelle encore que l’annonce du décès du précurseur par la presse a été faite dans un style d’hommage. "Comme un papillon en quête de nectar, le Bossoniste s’en est allé au pays des ombres éternelles" -Notre Voie, 17 novembre 1999-, "Les Bossons perdent leur maître" -Le Jour, 17-11-1999-.
En effet, le Bossonisme est un néologisme qui tient sa racine du mot Boson. Autrefois les non-chrétiens et les non-musulmans étaient qualifiés d’animistes ou de païens. Jean-Marie Adiaffi va s’ériger contre cette appellation péjorative et dépréciative pour créer le Bossonisme et revendiquer une indépendance spirituelle vis-à-vis de l’influence des autres religions et marquer davantage la magnificence de Dieu dans nos différentes langues. Par exemple chez les Agni-Baoulé, Dieu est auréolé du titre "Gnamien kpli"; chez les Bété "Lago", chez les Attié "Zeu", chez les Wê "Gnonsoa", etc.
Venus comme des conquérants, ils ont pillé, ils ont volé nos symboles culturels qu’ils ont stockés dans des musées en Europe, ils ont banni nos croyances, nos langues au point d’en faire des dialectes, nos coutumes sont traitées de barbare, nos ancêtres ont été contraints de réfléchir comme eux, de se comporter comme eux. Bref ! "Si vos ancêtres pouvaient vous regarder, vous voir, ils vous demanderaient certainement de quitter immédiatement cette religion des colons blancs qui vous a déracinés et convertis par la violence. Ils vous maudiront jusqu'à ce que vous vous détourniez de cette religion et ses bourreaux et retourniez à vos religions traditionnelles africaines (…) Un noir chrétien est un traître à la mémoire de ses ancêtres", disait un homme politique de son époque.
Adiaffi reconnait le Bossonisme comme cette identité religieuse ancienne au même titre que l’Islam, le christianisme devenus l’apanage des africains, après le vent de la colonisation. Cette religion aussi ancienne que l’histoire des hommes a toujours placé les éléments de la nature au cœur de ses croyances. Les éléments de la nature -les cours d’eau, le soleil, la forêt, la pierre, la lune, la terre, etc.- sont expressifs de la puissance de Dieu, les utiliser de façon symbolique renvoie à la magnificence de Dieu et marque la collaboration qui a toujours existé entre l’homme et son créateur. Ils constituent des symboles de paix et d’acte de purifications tels que les séances de baignade dans le Jourdain ou la Mer morte en Israël pour le chrétien, le symbole de la lune pour les musulmans, etc.
Lorsque le prêtre catholique sacrifie à la coutume de la messe du dimanche en ayant recours à l’encens, au vin et à la communion, cela est salué. Lorsque des éléments de la nature servent à concevoir des statues des saints de certaines religion, afin d’en faire exister à jamais dans l’esprit des ouailles, cela s’appelle de sainteté. Lorsque le musulman fait ses ablutions tout en marmonnant des prières, il est salué. Mais, lorsque le Komian dans ses habits d’apparats entre en transe, prédit l’avenir, ou éloigne les mauvais esprits loin du village, des langues fourchues s’élèvent pour qualifier cela de démoniaques et autre noms d’oiseaux de mauvais augures. Pis, les cérémonies de libation, de purification sont indexées comme irrationnelles. Les fêtes de génération, les fêtes d’ignames, etc. sont vomies. Des officiants de culte au rang desquels les Komians, nos prêtresses traditionnelles, sont vus d’un mauvais œil. En fait, qu’il soit prêtre officiant catholique ou komian, chacun a reçu le sacrement de l’ordre, cette fonction sacrée lui permettant d’accomplir les actes essentiels d’un culte religieux. Le prêtre baptise, célèbre, dit la messe, prêche. Le prêtre, c’est celui qui est chargé d'une fonction sacrée et qui accomplit les actes essentiels d'un culte religieux, le tout sous le sceau d’un code moral. Alors, comment comprendre cet acharnement contre nos pratiques ancestrales au point où tout ce qui relève de nos cultures est peint en noir par l’oppresseur, adoubé par des peuples indigènes écervelés, qui abusivement ou naïvement, ont cru détenir le monopole de la vérité des religions.
Cette espèce d’aliénation spirituelle continue, mais revendiquer cela vous expose au mépris, aux regards moqueurs ou perfides des autres. Et dans une société prêt à porter, le mimétisme et le suivisme semblent dicter leur loi. A tous, Jean-Marie Adiaffi rappelle, à toutes fins utiles, que la colonisation a commencé par le spirituel -l'action des missionnaires-, la libération doit donc se réaliser par le spirituel. Le Bossonisme apparaît alors comme une théorie de la revalorisation de la spiritualité africaine qui a développé en nous, depuis des siècles, le respect du sacré doublé d’une crainte qui nous éloigne des mauvaises pratiques et fréquentations. En d’autres termes, si nous n’obéissons pas à certaines règles de la nature, il y a une sanction, cette punition est la conséquence directe des actes négatifs que nous posons.
Bernard Manizan
Le 8 août 2018