Jean-Prosper Mounoubaï est né le 27 juillet 1933 à Bossangoa. Son père, Ndilbe Pendere, né à Paoua, épousa Dondouba Madion, Kaba du village Bélé dans la sous-préfecture de Markounda. Madion devient veuve avant la naissance de leur fils. Après la période de deuil, elle repart chez son grand frère André Ndilbé "Pendéré"’à Paoua où celui-ci est installé. C’est en s’y rendant qu’elle donna naissance, en chemin, à son fils qu’elle appela Mounoubaï qui veut dire en langue locale "héritier du pouvoir". Il fut enregistré à l’état civil de Bossangoa reçut le prénom de Jean-Prosper. Comme de coutume en pareilles circonstances, c’est son oncle Ndilbé qui devint son père nourricier. Mounoubaï a passé son enfance et sa jeunesse à Paoua où il a fait ses études primaires, a passé son certificat d’études. Il s’est trouvé dans cette école en même temps que Patassé mais pas dans la même classe, Mounoubaï étant de trois ans et demi son aîné.
Jean-Prosper Mounoubai@archFM
Début de carrière
Vers la fin de 1949, avant ses 17 ans, Mounoubaï part pour Bangui en espérant devenir infirmier. A Bangui, il se marie le 31 mars 1950 avec Marie-Jeanne Kadja. En fait, sa carrure, sa force physique et la réputation guerrière des Sara l’amenèrent à se diriger vers une carrière dans la police où il est recruté le 1er mai 1950 comme agent de 3e classe stagiaire avant d’être titularisé le 1er mai 1951. Il débute au commissariat central puis est affecté au commissariat du Km5. Il revient ensuite au commissariat central. Il va ensuite suivre plusieurs formations et stages de perfectionnement à l’école fédérale de police de Brazzaville, ce qui favorise son avancement.
Une ascension qui le propulsera d’abord responsable de la sécurité du président puis chef de la brigade de sécurité intérieure de l’Etat.
En décembre 1957, il devient assistant de sécurité publique, équivalent à brigadier de police. Bien noté et de carrure impressionnante, il est affecté à la protection de Barthélémy Boganda le 1er décembre 1958. Le destin fait qu’il ne peut l’accompagner à Berbérati le 29 mars 1959 à cause d’une panne de voiture qui l’empêchera de rejoindre l’avion qui s’écrasera dans la Lobaye. Après la mort de Boganda, il deviendra responsable de la sécurité de David Dacko. Il accède au grade d’officier de paix à titre exceptionnel en décembre 1960. Jusqu’en 1965, il porte le titre officiel d’Attaché au cabinet du président de la République. A cette époque, il part en stage de formation en Israël. Le 9 août 1963, la Brigade de Sécurité Intérieure de l’Etat -BSIE- est créée. Ce service rattachée directement à la présidence de la République et est dirigée par Mounoubaï à son retour d’Israël. @arch/F.M
Les difficultés du régime jusqu’au coup d’État de la Saint Sylvestre
Mounoubaï est un fidèle du président Dacko. Il l'accompagne dans les visites d’État les plus importantes et vit de l’intérieur les défis auquel le régime sera confronté. En 1964, le régime fait face à d’importantes difficultés financières à cause de l’accroissement des dépenses de la jeune République et de la progression de la masse salariale. Le "grand emprunt national" s’ajoute aux impôts directs, taxes et à la cotisation obligatoire au parti unique MESAN - auquel devait adhérer tous les citoyens centrafricains -. Ces impôts rentrent mal dans les caisses de l’État et rendent le régime impopulaire. Pour tenter de renflouer les caisses, les autorités négocient, dans le plus grand secret, un rapprochement avec Pékin espérant une assistance financière. Le 29 septembre 1964, à l’occasion de la signature d’accords de coopération sino-centrafricains, le vice-ministre chinois du Commerce extérieur Lu Nsu Chang annonce l’établissement de relations diplomatiques avec la RCA. Entre le 2 et le 9 janvier 1965, le président Dacko effectue une visite officielle en France, accompagné du secrétaire général du gouvernement M. Kombot-Naguémon, du conseiller financier du président M. Joséphine, du chef de cabinet militaire, le commandant Bangui et de Mounoubaï. Dacko s’entretient avec le ministre des affaires étrangères Couve de Murville, le général de Gaulle, Pompidou, le ministre de la coopération Triboulet et Foccart. Il indique aux français qu’il a reconnu le gouvernement de Pékin pour satisfaire les aspirations des éléments de la JENCA -jeunesse nationale centrafricaine- le mouvement de jeunes du MESAN mais que cette décision n’est pas de nature à remettre en question les bonnes relations qu’il entretient avec la France. Toutefois, Jacques Foccart manque de certitudes à l’égard du président centrafricain qui lui semble débordé par les progressistes de son entourage.
En avril 1965, Jean Français est le premier diplomate de métier à diriger la représentation diplomatique française à Bangui succédant au fidèle de Jacques Foccart, le militaire Roger Barberot, qui avait une forte influence à Bangui. Un incident marqua le départ de Roger Barberot de la RCA. Le colonel et chef d’État-major Bokassa, voulait remettre à Barberot le titre de caporal d’honneur de l’armée centrafricaine alors que le commandant Georges Bangui s’y opposait farouchement. Finalement, Dacko arbitra en faveur de Bokassa pour ne pas froisser les français.
Le 18 juin 1965, alors que le président Dacko est en voyage en Europe, le commandant Georges Bangui, le chef d’escadron, le commandant de la gendarmerie centrafricaine Jean-Henri Izamo et le chef du protocole Jean-Paul Douaté s’opposent à Bokassa pour qu’il puisse lire un texte lors d’une cérémonie de commémoration de l’appel du Général de Gaulle du 18 juin 1940. Bokassa souhaitait passer derrière le chef de l’Etat dans les cérémonies officielles ce qui valut des discussions houleuses avec Jean-Paul Douaté, directeur du protocole à la présidence qui lui expliqua en vain qu’avant lui passaient le président de l’Assemblée nationale, les ministres d’Etat, les Ministres et qu’il devait prendre place avec les hauts fonctionnaires.
Le 23 juillet, les officiers Jean-Henri Izamo, Georges Bangui et François–Sylvestre Sana dénoncent le comportement du chef d’Etat-major qui menace de les supprime. Ils l’accusent d’être à la solde de l’assistance technique française et demandent au chef de l’Etat sa destitution. Dacko demande alors à l’ambassadeur de faire inviter Bokassa aux cérémonies de commémoration du 14 juillet et de le garder le plus longtemps possible en France car il sent que l’atmosphère avec sa présence à Bangui est explosive. Il représente la RCA aux cérémonies marquant la fin de l’EFORTOM le 23 juillet 1965 à Fréjus. Bokassa racontera que durant l’été 1965, il passa de longues journées d’attente tous frais payés au cercle des officiers de la place Augustin avant d’être rappelé par le président Dacko.
A son retour le 30 juillet, Bokassa fait escale à Fort-Lamy où il est informé via le chef d’Etat-major de l’armée tchadienne le colonel Doumro qu’il a été envoyé à Paris sciemment par le Président Dacko et l’ambassadeur de France à Bangui pour l’écarter. Bokassa craint alors sa mise à l’écart, voire son élimination mais regagne tout de même Bangui le 7 août.... A ce moment, Mounoubaï est cumulativement chef de la Brigade de sécurité intérieure de l’Etat et responsable de près de 140 agents qui la compose. A ce titre, il exerce une surveillance particulière sur quiconque lorgne sur le pouvoir.....
Mounoubaï prend des positions en fonction de ce qu'il considère comme l'intérêt et la sécurité de la RCA. Il n'hésite pas à aller à l’encontre des intérêts français à Bangui lorsqu’il l’estime nécessaire. C’est ainsi que le 27 juillet 1965, Mounoubaï informe par courrier l’ambassade de France qu’il va procéder la fermeture des bureaux du S.C.T.I.P - service de coopération technique international de la police- à Bangui au motif que le représentant français M. Allongue est parti en congé sans l’avertir de son départ et sans lui présenter M. Karcher qui assure l’intérim. Une intervention de l’ambassade de France auprès du président Dacko permet de mettre fin à ce projet de fermeture des locaux du S.C.T.I.P. Il avait aussi fait supprimer le poste d’adjoint dans son bureau réservé à un francais, M. Belot.
Mounoubaï est l'homme de confiance du président. A la fin de l'été 1965, le grand emprunt national et la corruption alimentent la grogne sociale qui s’intensifie à Bangui. Le 22 septembre 1965, le président Dacko ordonne à Mounoubaï, directeur de la brigade de Sécurité Intérieure de l’Etat, de procéder à une enquête sur les prévarications et les abus de confiance de tous les ministres et de tout le haut personnel de l’Etat. Une délégation de syndicalistes dirigée par le nouveau directeur de l’agriculture Ange-Félix Patassé et le directeur général de la Banque nationale de développement Zanife-Touabona est reçue par le président Dacko en novembre 1965. Ils lui déclarent qu’un grand mécontentement existe dans le pays en raison de la gestion des mauvais ministres qui composaient son gouvernement, et son entourage qui tendait de plus en plus à l’isoler de la nation.
Le 26 novembre 1965, un agent israélien est accueilli par le Directeur de le Brigade de sécurité intérieure de l’Etat, Mounoubaï afin de former une douzaine d’agents centrafricains de renseignements. Début Décembre 1965, le président Dacko annonce à l’un de ses proches qu’il souhaite procéder à la constitution d’un nouveau ministère d’Etat de la Défense nationale couvrant l’Intérieur et la Justice et qui devait revenir à Jean-Prosper Mounoubaï qui conserverait la main sur les services de sécurité et de renseignements. Jean-Arthur Bandio proche du capitaine Banza et ministre de l’Intérieur en 1965 aurait fait les frais de ce remaniement qui finalement n'interviendra jamais...
Le 17 décembre 1965, une grève des postes et des télécommunications est déclenché par le Secrétaire général de l’UGTC Maurice Gouandjia au motif que le ministre des Travaux Publics refuse de payer une prime de rendement de fin d’année et protester contre une retenue sur salaire de 10% au titre de l’emprunt national.
Le 30 décembre, David Dacko qui préside le Conseil des ministres décide un abattement de 13% dans le budget de l’armée tandis qu’il prévoit de doter celui de la Gendarmerie de 20 millions supplémentaires, ce qui constitue une provocation pour Bokassa. Furieux de voir le déséquilibre budgétaire qui s’installe entre les fonds alloués à l’armée de terre et à la gendarmerie et convaincu que s’il ne bouge pas avant ses ennemis, il se fera éliminer, Bokassa décidera de passer à l’action....
Le coup d’État de la Saint - Sylvestre
A 19h, alors qu’il fête chez lui le passage à la nouvelle année, le commandant Izamo reçoit un coup de fin du colonel Bokassa qui lui demande au de venir le prendre à sa résidence et aussi "régler des problèmes administratifs urgents". Celui-ci s’y rend avec son aide de camp et tous deux sont arrêtés à 20h et incarcérés sur-le-champ. Le commandant Bangui, chef du cabinet militaire prévient alors le palais, dont il fait doubler la garde. Mounoubaï qui passait la soirée du côté de l’aéroport apprend qu’un coup d’Etat est en cours. Ce dernier lui a téléphoné pour lui dire que tous les deux étaient convoqués par Bokassa au camp de Roux, celui-lui prétendant se sentir menacé. Mounoubaï ne tombe pas dans le piège et il constate que le coup d’État est en train de réussir, toute résistance à la Présidence ayant déjà cessé… Lors d’un rapide passage chez lui, après minuit, il demande à un chauffeur de prendre sa deuxième femme et ses enfants pour les mettre à l’abri. Sa première femme se trouve alors dans la famille de Mounoubaï à Markounda. Lui-même va chercher refuge au Km5 et y reste caché plusieurs jours avant de passer l’Oubangui vers le Zaïre...
Si Paris a laissé faire le coup d’Etat en RCA sans intervenir, Foccart n’y est certainement pas étranger. Dès le 1er janvier 1966, celui-ci explique au général De Gaulle que Bokassa est un officier qu’il « connaît bien, très francophile » et le rassure afin que celui-ci puisse l’accepter comme le nouvel homme fort de Bangui. L’ambassadeur Jean Français qui qualifie dans son livre Foccart "d’orfèvre en coups tordus" semble avoir été totalement doublé par l’homme de l’ombre de l’Elysée. Dès le 3 janvier 1966, l’UGTC salue le coup d’Etat de l’armée présenté comme un frein à l’enrichissement de la petite bourgeoisie capitaliste, la fin d’un régime corrompu et le nouveau régime qui s’évertuera à se présenter comme plus vertueux que le précédent…
L'arrestation et l'exécution
Mounoubaï sera révoqué par Bokassa le 20 janvier 1966 et Bokassa mettra sa tête à prix promettant 5 millions de Fcfa pour sa capture. Mounoubaï est finalement arrêté dans la nuit du 22 au 23 janvier 1966, alors qu’il tentait de se rendre au Congo-Léopoldville, il est livré à un détachement de l’armée centrafricaine placé sous les ordres du capitaine Banza par des ressortissants du Congo Léopoldville. L’opération s’est déroulée sur les rives de l’Oubangui, aux environ de Mongoumba. Mounoubaï est menotté, ligoté, frappé et ramené au camp Kassaï où son corps sera enseveli au cimetière militaire. Il serait mort le 24 janvier 1966. Sa femme et ses enfants sont arrêtés le lendemain du coup d’Etat seront alors relâchés.
Thèse du complot déjoué développée par le nouveau régime
Selon les nouvelles autorités, le coup d’Etat de la Saint-Sylvestre était nécessaire pour déjouer un complot destiné à assassiner le président Dacko, Bokassa ainsi que les éléments modérés du régime et de l’armée. Ce complot aurait soi-disant été préparé par Jean-Christophe N’Zallat - chef du cabinet politique à la présidence et haut-commissaire à la jeunesse pionnière nationale- , Jean-Paul Douaté - chef du protocole -, Jean-Prosper Mounoubaï - chef de la Brigade de sécurité intérieure - , le commandant Georges Bangui et Jean-Henri Izamo - commandant de la gendarmerie centrafricaine- soutenus par la République populaire de Chine. C’est ainsi que décision de rompre les relations diplomatiques avec la Chine populaire fut notifiée par les nouvelles autorités le 7 janvier 1966. Tous les supposés acteurs de ce soi-disant complot déjoué par Bokassa furent tous liquidés au cours du putsch ou quelques jours après sans aucune forme de procès - sauf Jean-Paul Douaté qui ne mourut qu’en août 1975 après une longue période d’incarcération-…
Les conséquences de l'exécution et la réhabilitation
Le président Tombalbaye alerté de l’assassinat de Mounoubaï en fut fortement affecté ce qui compliqua les relations entre le Tchad et le Centrafrique jusqu’à la mi-mars 1966, où Bokassa le rencontra à Bouca dans l’optique de réchauffer le relations entre les deux Etats. C’est plusieurs mois plus tard lors d’une seconde rencontre à Fort Archambault - aujourd’hui dénommée Sarh au Tchad-, que Tombalbaye, obtient que la famille de Mounoubaï puisse quitter la République centrafricaine vers le Tchad, ce qui sera fait le 12 août 1966. Après les années passées à Ndjamena, les membres de la famille de Mounoubaï reviendront à Bangui en 1981 à la faveur de du renversement de Bokassa. La situation de Jean-Prosper Mounoubaï est alors régularisée et ses droits à la retraite reconnus. Dacko rend publiquement hommage à sa loyauté et à son dévouement. D’ailleurs un des fils Mounoubaï porte son prénom David et l’une de ses filles s’appelle Florence, comme sa première épouse Florence Yagbao - Florence est aussi la filleule de Madame Yagbao-. David Dacko déclare aussi que l’existence d’un pseudo complot financé par la République populaire de Chine n’est qu’un mensonge monté de toutes pièces par Bokassa pour justifier le coup d’État de la Saint Sylvestre.
Mounoubaï était un colosse, au sens figuré comme au sens propre. Il avait le sens du devoir, de la fidélité et de l'honneur. Il était de ces grands patriotes entièrement dévoués au service de leur pays, la République centrafricaine qu’il a servi avec fidélité jusqu’ au prix du sacrifice suprême.
Le 7 mars 2018