Par Thierry Simbi
Pour la première fois en Afrique et bien avant que la France ne suive cet exemple des années plus tard avec Édith Cresson, une femme fut nommée au poste de Premier ministre en Centrafrique.
Née en 1925 à Bangui, Elizabeth Domitien fréquente à l’époque coloniale les cours élémentaires dispensés par des religieuses où elle apprit le calcul et la couture. Elle s’est mariée avec M. Jean Maka et de cette union naquit sa fille unique Béatrice. Séparée de son époux, elle suivit ses parents à Brazzaville où son père était affecté dans les postes et télécommunications.
De retour de Brazzaville, elle a commencé le commerce de bijoux et de pagnes, exerçant son talent de couturière. Entreprenante et travailleuse, dotée d'une forte personnalité, elle était un modèle pour bon nombre de femmes qui la suivait.
Dans les années 1950, Elizabeth Domitien rejoint le mouvement pour l'indépendance et supporte Barthélémy Boganda. Ses discours en sangho mobilisent la population derrière le Mouvement pour l'Evolution Sociale de l'Afrique Noire -MESAN-. Après l'indépendance, elle collabore étroitement avec David Dacko et effectue un voyage officiel de 45 jours en Europe -France, Royaume-Uni, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, République fédérale d’Allemagne, Italie et Grèce-, après lequel elle sera élue présidente des femmes du MESAN.
Elisabeth Domitien@bdn Active au sein de l’Union des femmes centrafricaines -UFCA-, fondée en 1964, elle croise le chemin de brillantes défenderesses des droits des femmes comme Marie Josèphe Zani-Fè Touam Boana, Anne-Marie Magale, Thérèse Gaba, Elisabeth Yassengou et Gertrude Dallot-Béfio. Le 14 avril 1965, elle est nommée au sein d’un comité national de 6 membres dans le cadre de l’opération "Kwa ti Kodro" lancée par David Dacko.
Après le coup d'État de la Saint-Sylvestre, le colonel Jean-Bedel Bokassa se proclamera président du MESAN et nommera Elisabeth Domitien à la vice-présidence du parti en Janvier 1967. Son action contribua à développer le sentiment national chez les centrafricains.
En septembre 1971, elle soutient les propos de Bokassa qui déclare que la République centrafricaine a le droit de battre sa propre monnaie et critique le taux de conversion du Fcfa.
En 1973, elle préside la première convention des exploitants agricoles centrafricains.
Lorsque Bokassa se proclame maréchal le 19 mai 1974, elle fait un discours d’éloges et lui remet une canne symbole de pouvoir et d’autorité. Sa loyauté envers Bokassa lui valut bien des critiques. Mais, selon Elizabeth Domitien, la population devait suivre son chef qui en retour devait respecter ses concitoyens et défendre leurs intérêts. Elle avait toutefois son franc-parler et n’hésitait pas à exprimer clairement sa désapprobation lorsque la politique menée allait à l'encontre des attentes de la population. Bokassa nomma Elizabeth Domitien Premier ministre le 6 juin 1974, deux ans avant que celui-ci ne s'autoproclame empereur.
Elle est alors la première femme à occuper cette fonction en Afrique et la 4e au niveau international bien avant que la France ne suive cet exemple avec Édith Cresson en 1991. Soulignons le fait que dans le gouvernement de Mme Domitien, il y avait d’autres femmes comme par exemple Mme Christiane Gbokou qui fut ministre des finances -situation suffisamment rare à l'époque pour être signalée-. Même si Bokassa prenait directement les décisions les plus importantes, elle était l’une de ses plus proches collaborateurs et fut reconduite au poste de Premier ministre des gouvernements formés le 1er janvier 1975, le 9 juin 1975 et le 1er octobre 1975. Elisabeth Domotien avec Jean Bedel Bokassa@bdn
En mars 1975, durant le second sommet franco-africain, elle a accueilli sur le tarmac de l’aéroport les chefs d’Etats et de gouvernement et notamment le président Valéry Giscard-d’Estaing. Elle a mené la délégation centrafricaine aux funérailles de Chiang Kai-Chek dans la République de Chine -Taïwan- en avril 1975. Comme vice-présidente du MESAN ou Premier ministre, elle a effectué des voyages en Egypte, USA, Israël, Suisse et Roumanie et y rencontra des personnalités d’Etats de ces pays.
avec Giscard d'Estaing@bdn Les photos accrochées aux murs de sa résidence témoigneront de cette époque durant laquelle elle se distingua par son action en faveur de l'agriculture, du commerce et de la promotion de la femme. A partir des années 1975, elle fit la connaissance d'un portugais M. Dematos qui lui confia de l'argent pour le commerce de café. A la fin du partenariat, M. Dematos reparti au Portugal qu'elle se lança dans un grand commerce de café et de produits agricoles.
Elle était appréciée pour son honnêteté et sa droiture. "Bokassa me respectait parce que je disais la vérité', souligna-t-elle par la suite.
Ses interventions ont par ailleurs permis à de nombreuses personnes arrêtées arbitrairement de recouvrer la liberté. Quand Bokassa voulut se faire couronner empereur, elle exprima son désaccord affirmant que cela desservirait le pays à l’échelle internationale soulignant que les décisions de s’autoproclamer maréchal et président à vie n’avaient pas été bien acceptées à l’étranger.
Mais, Bokassa ne tint pas compte de son avis. Il la destitua le 4 avril 1976 car elle s'était opposée au meurtre des jumeaux Obrou et Méa l’obligeant à se retirer à Bimbo où elle se consacra à sa plantation. Elisabeth Domitien@bdn
Début 1979, elle fut rappelée et nommée conseiller de l’Empereur. A la chute de Bokassa, en septembre 1979, elle est arrêtée et subit un procès en février 1980 avec des charges de détournements d’argent public qui auraient été commis durant son action de Premier ministre. Elle sera emprisonnée de novembre 1979 et libérée en février 1981 après que le tribunal l’ait finalement lavée des accusations qui pesaient sur elle.
Cependant, elle fut interdite de politique et le gouvernement Dacko II lui confisqua la quasi-totalité de ses propriétés et notamment sa plantation de café. Elle se retira de la vie publique pour se consacrer à ses affaires à Bangui et Bimbo. Lorsqu’Ange-Félix Patassé arrive au pouvoir en 1993, il lui offre une assistance financière et l’aide à rénover sa résidence. Il lui proposera aussi des responsabilités politiques qu’elle déclinera.
En septembre 2003, elle participera au dialogue national organisé par le général Bozizé pour apurer les comptes du passé en sa qualité d’ancien Premier ministre. Cependant, en dépit de son statut, elle n’aura ni retraite, ni privilège et vivra longtemps méconnue et oubliée, des modestes revenus tirés de sa plantation.
Élisabeth Domitien s’éteint finalement le 26 avril 2005 à Bimbo avant de recevoir des funérailles nationales le 10 mai 2005. Elisabeth Domitien@bdn
6 juillet 2017