Centrafrique : les décrets portant augmentation des salaires et indemnités des autorités,
le suffrage universel donne-t-il droit à un usage abusif du pouvoir discrétionnaire ?
Le président de la République a été élu dans un contexte sécuritaire tendu avec des groupes armés non conventionnels disséminés sur la quasi-totalité du territoire national. Il est ainsi évident que le fruit de la volonté du peuple a hérité d’une économie agonisante, sous perfusion qui ne doit sa survie qu’aux différentes assistances de la communauté internationale. Une telle circonstance impose de facto les notions de rigueur, d’austérité budgétaire et la lutte contre la corruption dans la gestion de la chose publique en vue d’un rééquilibrage économique. Bernard Selemby-Doudou@bsd
Paradoxalement à ce que théorisent les chevronnés et légendaires experts en gestion de crise post guerre où les chantiers et défis sont énormes, le président de la République, en vertu de son pouvoir discrétionnaire prévu par les dispositions de l’article 33 de la constitution a pris 2 décrets portant augmentation des salaires et indemnités alloués à la présidence de la République, à la primature et autres institutions de la République.
Il s’agit respectivement des décrets N•18-123 et 18-124 du 2 juillet 2018. Il est par ailleurs important de rappeler qu’un décret signé par le Président de la république suppose qu’il a été délibéré en conseil des ministres et par voie de conséquence en engage la responsabilité du Président de la république ainsi que de son gouvernement.
En outre et en dehors des salaires, les autorités bénéficient de certains avantages et traitements que la masse des fonctionnaires ne peut espérer. Il s’agit entre autres des primes, des logements, un ou plusieurs véhicules, les garde-robes, les frais de réception sans compter les frais de mission à l’intérieur du pays comme à l’étranger.
Face à cette chronique discrimination avec un relent de dictature moderne, les centrales syndicales boudent et projettent une grève pour réclamer l’élargissement de cette mesure aux fonctionnaires centrafricains et en conséquence s’aligner sur le célèbre principe d’égalité des citoyens devant les services et charges publics nonobstant nos maigres ressources. Devant la cherté de la vie et en l’absence d’un déblocage de salaires depuis 2 décennies, le citoyen lambda s’interroge :
- Comment expliquer les augmentations simultanées des fonds spéciaux à hauteur de 25% et ces décrets comparativement à la baisse du budget de la sécurité qui est prioritaire ?
- Autrement dit, qu’est-ce qui justifie légitimement cette augmentation?
- Était-il utile et opportun d’augmenter les salaires maintenant nonobstant les avantages matériels et financiers, les vols, détournements, corruption impunie et le bradage de nos ressources ?
- En d’autres termes, comment le pouvoir a-t-il apprécié cette égoïste augmentation parallèlement à un contexte sécuritaire et économique en lambeaux ?
- Cette augmentation a-t-elle reçu l’autorisation du parlement ?
- En référence aux prestations fournies, les bénéficiaires de cette augmentation méritent-ils ce sésame ?
- Que font-ils de leur salaire mirobolant dès lors qu’ils sont logés, nourris et vêtus ?
- S’agit-il d’une énième moquerie à caractère méprisant, d’une provocation ou d’un manque de respect envers ses administrés ?
- En apposant son sceau sous ces décrets dans un contexte sécuritaire hypothétique, le président de la République a-t-il véritablement la volonté politique de pacifier ce pays ?
- Pensez-vous que lorsque vous êtes élu démocratiquement, vous pouvez faire ce que vous voulez ?
- Le suffrage universel donne-t-il droit à un usage abusif du pouvoir discrétionnaire ?
- La notion de rupture a-t-elle une autre compréhension en Centrafrique ?
Enfin, lors de la prestation de serment, le président de la République a déclaré "être le président de tous les centrafricains", en prenant de tels décrets discriminatoires, s’agit-il d’une violation tacite ou par ricochet du serment ou simplement d’un homme politique qui ne respecte pas sa parole ?
La sagesse et la notion de partage veulent que nous rappelions à nos autorités la notion juridique de "bon père de famille". Cette notion n’est pas une injonction de la loi mais simplement une règle morale, de loyauté qui s’impose à notre conscience collective. Le président de la République qui est assimilé à un bon père de famille doit respecter la norme comportementale au risque de s’exposer à une responsabilité sans faute, à une grogne… bref à des représailles.
On constate avec amertume dans les faits que le pouvoir discrétionnaire du président de la République n’a plus de limites au point que ce dernier sera tenté de débaptiser une avenue de la place au profit du patronyme d’une de ses maîtresses.
Sous d’autres cieux, au lieu d’augmenter les traitements des nantis, le pouvoir devrait baisser son train de vie ainsi que son effectif pour créer de l’emploi aux jeunes désœuvrés qui sont devenus une proie facile pour les groupes armés. Le partage des revenus du pays est un levier qu’il faut actionner pour stimuler la motivation des travailleurs ou fonctionnaires en vue d’un rendement maximal. Mais rien n’est tard, le pouvoir peut encore se rattraper.
Mais attention, ne le dites à personne. Si on vous demande, ne dites pas que c’est moi.
Bernard Selemby-Doudou -juriste, administrateur des élections
Le 14 juillet 2018 Paris