Les congolais ont appris avec émoi ces derniers temps l’épuisement des devises à Brazzaville et à Pointe-Noire, les deux principales places économiques du Congo. Du rationnement, on est passé très vite à la fermeture des guichets de change dans les banques et dans les bureaux de change. La Banque des Etats de l’Afrique Centrale -BEAC-, institution d’émission, gestionnaire et allocataire des devises, a, par une note de son directeur national pour le Congo, sans nul doute, en accord avec le gouverneur, suspendu toutes les opérations sur les devises jusqu’à nouvel ordre.
Les congolais et les étrangers résidant au Congo s’interrogent sur les causes d’une telle crise des devises. D’aucuns expliquent la pénurie par la peur-panique des détenteurs du pouvoir qui, sentant la fin prochaine du régime, se ruent aux guichets des banques avec des sommes colossales -100, 200, 300, voire 700 millions de Fcfa-, pour avoir la contrepartie en devises, et ainsi se constituer une provision au cas où ils seraient forcés à un exil hors du Congo.
Comme chacun le sait, les gammes monétaires ont une durée de vie de 10 ans. La gamme émise en 2002 devait être retirée de la circulation en 2012 et une nouvelle gamme devait être mise en circulation cette année-là. Il n’en a rien été. Aujourd’hui, la gamme émise en 2002 continue d’avoir cours, ce, 7 ans après la date butoir de son extinction, tout simplement parce que les tenants du pouvoir au Congo-Brazzaville, et principalement le président congolais, sont farouchement opposés à son retrait, en raison des énormes stocks de Fcfa qu’ils ont thésaurisés dans des réserves privées et dont ils cherchent activement à se débarrasser, face à l’incertitude du lendemain.
A la vérité, les causes de la crise des devises sont à rechercher au niveau de la gestion des comptes extérieurs qui sont affectés au débit par le paiement des importations et au crédit par le rapatriement des recettes d’exportation. Le solde positif constitue ainsi le stock des réserves de change internationales. Les exportations doivent couvrir les importations.
Dans le cas du Congo-Brazzaville, les recettes d’exportation proviennent essentiellement de deux produits, le pétrole pour la plus grosse part, et dans une moindre mesure, le bois. Or, s’agissant du pétrole, depuis que la SNPC existe et vend la part de pétrole de l’Etat résultant du contrat de partage de production, les recettes ne sont pas rapatriées au Congo. Qu’elles résultent des préfinancements des traders -Glencor, Trafigura, Gunvor, Mercuria- ou qu’elles proviennent de la vente du brut, les recettes prennent toujours les chemins tortueux des paradis fiscaux pour alimenter les comptes personnels de certains dignitaires du pouvoir, alors que la convention signée entre l’Etat et la SNPC fait obligation à cette dernière, de verser au Trésor public, le produit de la vente de la part de pétrole de l’Etat, dans un délai de 8 jours, après encaissement.
Le non rapatriement au Congo des recettes d’exportation a entraîné l’assèchement des réserves de change internationales du pays, déséquilibrant du coup très lourdement le compte extérieur de la CEMAC, dénommé compte d’opérations, ouvert auprès du Trésor français, à l’effet de garantir la convertibilité illimitée du Fcfa en euros et de couvrir le paiement des importations des pays contributeurs, membres de la CEMAC.
C’est dire que l’assèchement des réserves de change est la cause principale de la crise des devises. Vouloir justifier cette crise uniquement par le repli du prix du baril de pétrole, repli qui du reste n’est pas inédit dans l’histoire du Congo, c’est créer sciemment la confusion, tenter de camoufler la vérité et empêcher les Congolais de comprendre les vraies causes de la pénurie actuelle des devises, à savoir, la faillite économique du pays, le non rapatriement au Congo des recettes d’exportation, le placement de l’argent public détourné dans des comptes privés à l’extérieur, bref, la mal-gouvernance.
Ce qui est fondamentalement en cause, c’est la gouvernance calamiteuse et néo-patrimoniale de l’Etat par le pouvoir actuel.
Dans ce contexte, le programme triennal qui vient d’être signé avec le FMI, pour le montant insignifiant de 270 milliards de Fcfa sur 3 ans, contrairement aux milliards de dollars accordés aux autres pays, ne résoudra aucun problème de la crise multidimensionnelle qui traverse le Congo-Brazzaville, sans une refondation de la gouvernance actuelle du pays. Vivement l’alternance démocratique et pacifique au Congo.
Le 24 juillet 2019