Jean-Pierre Mocky s’est éteint. Lui l’infatigable, lui le prolifique, lui l’éternel provocateur, lui qui faisait des films comme d’autres respirent, nous avait laissé croire à son inoxydable jeunesse. Car cette jeunesse, c’était, hier encore, celle de son regard irrévérencieux, de sa fougue mutine, de son désir intact et avide de cinéma. C’était aussi celle de ses colères, de ses indignations et de ses révoltes.
Né d’un père juif polonais émigré en France, Jean-Paul Mokiejewski, de son vrai nom, entame sous l’Occupation, alors qu’il tente d’échapper aux rafles, une carrière de figurant et d’acteur de seconds rôles chez Marcel Carné, Claude Autant-Lara ou Jean Cocteau. Mais, malgré son passage par le conservatoire d’art dramatique de Paris, malgré la beauté de ses traits, les premiers rôles se refusent à lui. Il part alors tenter sa chance en Italie et Antonioni la lui offre en lui confiant un premier rôle dans Les Vaincus.
Fort de son succès à Cinecittà, Jean-Pierre Mocky assiste un temps Fellini et Visconti, puis décide de passer derrière la caméra. Il réalise son premier film, Les Dragueurs, en 1959. C’est un grand succès. Une liberté de ton nouvelle. Et le titre, tiré de l’argot savoureux de Mocky, devient un nouveau mot de notre langue dont on connaît la fortune.
Il invente et creuse ensuite cette veine si singulière de comédies tour à tour loufoques, grinçantes, satiriques et libertaires qui portent sa griffe. On se souvient de sa collaboration avec Bourvil, notamment dans Un drôle de paroissien sur un aristocrate désargenté qui devient pilleur de troncs d’église et dans La Grande lessive (!) sur un instituteur révolté par l’abêtissement induit par la télévision.
Passant du rire à l’indignation, il tourne ensuite des films plus sombres sur la corruption, le muselage de la presse ou la peine de mort. Il revient à la farce, fait des incursions dans le fantastique, puis se tourne vers des productions de films de série B. En somme, l’œuvre de Jean-Pierre Mocky est inclassable.
Il n’était d’aucune école, d’aucun mouvement, d’aucune vague, ancienne ou nouvelle : il était cet électron libre du cinéma français qui savait électriser le septième art en ne respectant ni ses modes ni ses codes.
Mais, dans ce foisonnement de genres et de sujets, dans cette production pléthorique, parfois intempestive, il y avait une manière et un style. Jean-Pierre Mocky tournait ses films avec très peu de moyens, rapidement, parfois en moins d’un mois, car il aimait le surgissement et la spontanéité. Jean-Pierre Mocky aimait les personnages hors-normes, les "gueules", les incompris, les outranciers, les écorchés. Jean-Pierre Mocky était iconoclaste et aimait gratter la dorure qui recouvre les idoles et qui tapisse les institutions. Cinéaste farouchement anarchiste et furieusement indépendant, il faisait souvent tout lui-même, de l’écriture à la distribution, en passant par la production, la mise en scène et le montage.
Sa liberté, sa démesure, son impertinence, son regard caustique, sa gouaille râleuse manqueront au cinéma français. C’est un sublime et salutaire impertinent que la France perd et pleure aujourd’hui.
Le 8 août 2019