Le palais de l'Elysée communique
Les persécutions, l'exode et l'exil, la clandestinité, l'arrestation puis la déportation, les camps et les travaux forcés, les marches de la mort… Paul Schaffer avait connu l’enfer, et en était revenu. Il s’est éteint à l’âge de 95 ans, après une vie de résilience et de mémoire.
Quand il naquit à Vienne en 1924, la capitale autrichienne était une ville ouverte, cosmopolite, une matrice de savoirs neufs, un foyer intellectuel et artistique. Son enfance au sein d’une famille de la bourgeoisie juive autrichienne fut heureuse : il grandit entouré de l’affection de sa sœur, de ses parents et de sa grand-mère. Mais en 1938, Vienne la rouge devint rouge sang, ensanglantée à la suite de l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie. Les humiliations et les persécutions devinrent le lot quotidien des juifs autrichiens. C’est sur Vienne que la Nuit de Cristal, vaste pogrom déclenché dans toute l’Allemagne et en Autriche, s’abattit avec la plus grande violence. Paul Schaffer avait alors 14 ans : le monde de son enfance s’écroulait, le "monde d’hier" décrit par Zweig n’était plus.
Sa famille se résolut à quitter ce pays qui était le leur mais qui ne voulait plus d’eux. En novembre 1938, le jeune Paul fit ses adieux à sa ville natale, emportant avec lui son passeport d’apatride marqué d’une croix gammée, les douze dollars autorisés par personne, et un maigre baluchon contenant le strict nécessaire - pour lui, cela incluait sa collection de timbres, précieux souvenir du temps oblitéré de son enfance. Commença alors une vie marquée par les tourments de l’exode, entrecoupée de périodes paisibles où la vie reprenait ses droits. À Bruxelles d’abord, puis à Revel, dans le Sud-Ouest de la France, petite ville médiévale dans laquelle s’arrêta le train qui transportait un millier de réfugiés.
A l’exode, devenu exil, succéda bientôt l’internement. A la fin de l’année 1940, les Schaffer durent rejoindre "un camp de famille" à Agde, essentiellement composé de juifs réfugiés d’Allemagne et d’Autriche, qu’ils parvinrent à quitter grâce à l’intervention d’une amie de la famille. Mais ils ne furent pas épargnés par les vagues d’arrestation : fin août 1942, Paul Schaffer, sa mère et sa sœur furent transférés au camp de Drancy. Quelques jours plus tard, ils faisaient partie du convoi 28 qui prit la direction d’Auschwitz-Birkenau : parmi les 999 personnes déportées ce jour-là, 27 seulement revinrent. Paul Schaffer fut l’un d’eux, et l’unique survivant de sa famille : sa mère et sa sœur, elles, furent gazées dès leur arrivée.
D’abord interné dans deux camps de travaux forcés satellites d’Auschwitz, il fut transféré à Birkenau en novembre 1943, puis à Bobrek en avril 1944. Il survécut à la faim et au froid, à l’épuisement et aux maladies, à la déréliction aussi. Dans cette nuit noire de l’humanité, il fut même de ceux qui parvinrent à ne jamais désespérer. Simone Veil, qu’il rencontra au camp de Bobrek et avec laquelle il noua une indéfectible amitié, avait écrit combien "sa dignité, sa gentillesse vis à vis de tous, une certaine forme de civilité" lui étaient apparues "comme la plus belle victoire sur un système concentrationnaire conçu pour nous humilier et nous réduire à un état quasi-bestial".
Après une marche de la mort dont il réussit miraculeusement à s’échapper, les portes de l’enfer, enfin, se refermaient derrière lui. De retour en France, il s’efforça de reconstruire une vie normale, se maria avec une fille de déportée, reprit des études, devint électronicien puis enseignant, et entama une brillante carrière d’industriel. Mais ce qu’il avait vécu ne pouvait être tu. Le sentiment d’un devoir à accomplir le poussa, malgré les difficultés et la douleur du travail de mémoire, à témoigner lors du procès d’Auschwitz à Francfort, entre 1963 et 1965, puis à occuper la vice-présidence de Yad Vashem France et celle de l'Union des déportés d’Auschwitz. Inlassablement, il racontait ce qu’il avait vécu devant des élèves qui l’incitèrent à publier son récit. Ce fut Soleil voilé, l’histoire d’une vie vécue dans la lumière malgré l’ombre irrévocable de la Shoah.
Le président de la République salue la vie de résilience et l’œuvre de mémoire de Paul Schaffer. Il adresse à sa famille ainsi qu’à ses proches ses condoléances émues.
Le 8 août 2020