Je suis très heureux d’abord d’accueillir le président Poutine et je le remercie de sa présence aujourd’hui à Brégançon qui vient après plusieurs échanges. Nos échanges à Versailles dès le printemps 2017 puis à Saint-Pétersbourg au printemps 2018 et tous les échanges que nous avons pu avoir, le dernier en date étant à Osaka. Et je suis très heureux de pouvoir l’accueillir dans ce lieu, ô combien, symbolique et sur les rives de cette Méditerranée qui ont toujours beaucoup compté pour la relation entre nos deux pays et pour l’imaginaire russe. Beaucoup de grands artistes, écrivains, peintres ou musiciens, d’ailleurs russes, ont séjourné sur ces rives, de Nabokoff à Tourgueniev en passant par Stravinski, et plusieurs autres, elles ont su inspirer. Vladimir Poutine et Emmanuel Macron à Brégançon@pool/sni
Cet échange d’aujourd’hui pour moi est très important parce que nous vivons un moment profondément historique de notre heure internationale et donc nous aurons d’abord à parler des crises, qui est un peu l’agenda que nous avons fixé à Osaka. Nous parlerons d’Iran, je crois que nous sommes attachés l’un et l’autre à une désescalade de la situation en Iran. Nous avons beaucoup œuvré depuis plusieurs semaines pour justement éviter tout embrasement, fait des propositions multiples. J’ai aussi multiplié les échanges avec le président Trump, le président Rohani et plusieurs autres, et nous sommes attachés évidemment d’une part au plein respect du traité de 2015, du JCPoA, mais également à avoir un agenda plus large de stabilité et de sécurité dans toute la région. Nous parlerons également de l’Ukraine évidemment où les prises de position, les choix qui ont été faits par le président Zelinski sont un vrai changement pour la donne, pour la situation. Le président Poutine a eu plusieurs échanges avec lui ces dernières semaines et je crois que c’est aussi pour nous l’opportunité de revisiter cette situation, de pouvoir échanger et de pouvoir aussi préparer des rendez-vous à venir, et en lien étroit avec le président Zelinski et la chancelière Merkel nous aurons à considérer l’opportunité, ce qui est mon souhait, d’un nouveau sommet en format Normandie dans les prochaines semaines si nous arrivons à configurer les voies d’avancement. Nous aurons également à échanger sur la Syrie où un gros travail a été fait là aussi ensemble depuis plusieurs mois : à Saint-Pétersbourg, à Istanbul, nous avons avancé sur aussi des rapprochements de format de négociations, nous avons lancé ensemble des opérations humanitaires mais je dois bien le dire notre préoccupation aujourd’hui qui est profonde sur la situation qui est vécue à Idlib. Aujourd’hui, la population civile à Idlib vit sous les bombes, des populations innocentes en particulier des enfants sont tuées et je crois qu’il est impérieux, nous y tenons beaucoup et nous aurons l’occasion d’en parler, que le cessez-le-feu décidé et acté à Sotchi soit pleinement respecté car aujourd’hui les attaques menées par le régime conduisent à tuer des innocents et des civils. Et nous aurons à évoquer sur la Syrie également le calendrier politique, constitutionnel, diplomatique que nous avons mis en place. Nous évoquerons aussi la Libye où nous avons obtenu durant l’été une trêve le 10 août dernier par un gros travail et une mobilisation avec l’ensemble des parties prenantes. Il nous faut maintenant construire de manière durable la stabilité et rebâtir un ordre en Libye, je crois que nous y sommes l’un et l’autre attachés.
On aura beaucoup d’autres sujets mais ces crises seront au cœur de notre discussion parce que la France a à préparer le prochain G7, compte-tenu de notre présidence et parce que la Russie a un rôle absolument incontournable sur chacune de ces crises. C’est pourquoi je souhaitais pouvoir échanger avec le président Poutine sur ces sujets. Au-delà de cela, il y a plusieurs autres sujets internationaux sur lesquels nous allons travailler ensemble : le sujet évidemment des armements et de notre sécurité collective après les décisions importantes qui ont été prises début août sur le traité d’IFNI et avant des échéances qui sont à venir dans les années, qui sont dans les années à venir devant nous. Et je souhaite que nous puissions avoir là aussi des échanges extrêmement directs et détaillés. Je souhaite également que nous puissions échanger sur le climat, je me réjouis de la décision de ratification des accords de Paris qui a été prise par la Russie, qui est un point extrêmement important dans le combat que nous menons en matière climatique et qui est je crois un geste diplomatique et de conviction très important de la part de la Russie en soutien de l’agenda de Paris.
Je veux aussi avoir un mot de soutien après les incendies terribles qui se sont produits cet été en Sibérie et qui ont mobilisé le président. Mais de l’Arctique à la situation du permafrost, et à cet agenda climatique là aussi je souhaite que nous puissions avancer et c’est pour moi au cœur de cette recomposition que nous avons à faire parce que, je le disais, notre ordre international vit un moment absolument historique : le multilatéralisme est attaqué et nous avons à penser, à construire une recomposition de cet ordre international. C’est ma conviction profonde, c’est-à-dire à réinventer de nouvelles formes de relations et d’actions utiles. Ce sera au cœur des discussions du G7, au cœur de notre discussion aujourd’hui et dans ce cadre la relation de la France et de la Russie, de la Russie et de l’Union européenne est absolument déterminante. Je l’ai dit à plusieurs reprises, je sais tout ce qui a pu nous séparer, les malentendus des dernières décennies, je sais aussi les débats qu’il y a sur la relation avec l’Occident.
Je sais une autre chose : c’est que la Russie est européenne, très profondément, et nous croyons dans cette Europe qui va de Lisbonne à Vladivostok. Un grand auteur russe, Dostoievski, dans L’adolescent disait, et je le cite imparfaitement, de mémoire, que le Russe avait cela de particulier par rapport à l’allemand, au Français ou autre, c’est qu’il était le plus russe quand il était le plus européen, et en quelque sorte son nationalisme était toujours plus grand que lui-même et devait embrasser le fait européen, et je crois très profondément à cela. C’est pourquoi dans cette recomposition qui est la nôtre, ce à quoi je crois c’est que nous avons à réinventer une architecture de sécurité et de confiance entre l’Union européenne et la Russie, et la France y a un rôle, elle y jouera tout son rôle. Celui de définir les nouvelles menaces telles que nous les voyons et les partageons, qu’elles soient d’ailleurs dans les armements, le nucléaire, le cyber, de définir un agenda commun et de réussir à construire des méthodes d’action, de désescalade, de sécurité communes compte-tenu de notre voisinage. Ce que je crois aussi c’est que parce qu’elle est européenne. La Russie a toute sa place dans l’Europe des valeurs à laquelle nous croyons. C’est pourquoi la France, et je l’assume, s'est tant battu pour qu’on trouve une solution utile, pertinente au sein du Conseil de l’Europe et c’est sous la présidence française du Conseil des ministres du Conseil de l’Europe que nous avons trouvé une solution qui permet à la Russie de retrouver sa place, et c’est d’ailleurs au nom de cette place que nous avons pu appeler cet été à ce que la liberté de manifester, la liberté d’expression, la liberté d’opinion, la liberté de se présenter à des élections dans le cadre de tout pays au sein de ce Conseil soient pleinement respectées aussi en Russie. Parce que je crois à cette Russie européenne, parce que je crois à une souveraineté européenne c’est-à-dire à une Europe plus forte et qui donc doit se réinventer dans ce dialogue. Et c’est pourquoi j’attache la plus grande importance à la présence du président Poutine aujourd’hui à Brégançon, et c’est pourquoi les heures que nous allons passer ensemble après toutes celles que nous avons eues et les échanges stratégiques que nous avons partagés sont à mes yeux décisifs.
Merci monsieur le président, cher Vladimir, d’être aujourd’hui à Brégançon, d’avoir pris ce temps, d’avoir pris la peine. Je suis très heureux que nous puissions ainsi échanger. Vladimir Poutine et Emmanuel Macron@pool/sni
Le 19 aout 2019