Dans la matinée du 20 janvier, la garde impériale - que beaucoup confondent avec des troupes zaïroises - débarque de Bérengo et se lance dans les quartiers où elle tire aveuglément sur tout ce qui bouge. Les chars patrouillent dans les rues. Beaucoup de personnes et même des enfants trouvent la mort, comme la petite Brigitte Dangba, tuée d’une balle dans le dos devant sa maison, quartier Wallingba, à côté de son frère.
La population réagit en lançant des flèches sur les soldats, les fusils de traite retrouvent leur emploi. A Miskine, un père, qui a vu deux de ses enfants abattus devant lui, part en guerre avec son fusil de chasse calibre 12 et tue plusieurs soldats. Les tirs des militaires n’épargnent personne, même pas les ambulances de la Croix-Rouge qui ramassent les morts et les blessés.
La mort qui eut le plus de retentissement fut incontestablement celle du jeune Roch-Côme Dondra. Né en 1968, il avait vécu à Paris où son père poursuivait ses études. Il aimait manifester, dit son père, et en France il s’était mêlé à tous les cortèges, notamment à ceux qui avaient défilé contre la loi Haby. Rentré depuis peu en Centrafrique, il avait tout naturellement participé aux manifestations des 18 et 19 janvier. Le 20 janvier, il se trouve à proximité de l’avenue de France, vers Circabois, quand il est abattu d’une balle en plein cœur en même temps que l’élève de terminale Adolphe Komossongo.
De nombreuses personnes ont accusé le général Mayomokola de ce meurtre. Il avait tiré sur l’ enfant avec son revolver, mais Mayomokola s’en est toujours défendu et a protesté de son innocence sans vouloir révéler le nom du responsable : le règlement militaire le lui interdisait, devait-il expliquer plus tard à Assombélé. Selon lui, alors qu’il inspectait le quartier, il avait vu une patrouille tirer sur les enfants.
Apprenant la mort de leur frère, les huit autres enfants de Dondra se précipitent dans la bagarre pour affronter la troupe, sa fille de seize ans dévêtue jusqu’à la ceinture. Dondra lui-même, sur ordre du secrétaire d’État à l’Intérieur, Mossaba IV, est arrêté le 26 janvier et déposé dans la geôle du commissariat de police. Là, nu, menottes aux mains et bandeau sur les yeux, il sent, dit-il, un revolver sur la tempe tandis qu’une voix répète : "Tu as Pleuré ton fils, tu vas maintenant le rejoindre et pourrir avec lui"
Son frère, Jean-Richard Sandos et Alphonse Koyamba réussissent heureusement à avertir le ministre de l’Intérieur Potolot, qui le fait libérer dès le lendemain. Par la suite, en compensation, Bokassa veut le nommer directeur du centre national des transporteurs routiers, mais il préfère s’enfuir au Zaïre puis gagner la France où il met au courant de la situation les principaux opposants, notamment Ange Patassé et François Guéret, ainsi qu’Amnesty International. La foule, de son côté, s’est attaquée aux biens des principaux tenants du régime.
La maison de Mme Zanifé au kilomètre 10 est saccagée. Vers 3 h du matin, la villa du colonel Inga est pillée par les voisins qui ne l’aimaient pas et par des jeunes qu’il avait fait battre lors de la répétition de la chorale à l’église de Ngouciment. Inga, surnommé "le cascadeur", aurait réagi brutalement et, selon des témoins, aurait exécuté, à proximité de l’Amical Bar, deux jeunes gens, et en aurait blessé quatre autres.
Un conseiller à la cour impériale, apprenant que sa maison et ses voitures ont été incendiées à Sica 3, emporté par la colère, abat le jeune Magloire Potolot. Suivant l’enterrement de sa victime, il aurait dit qu’il abattrait tous ceux qui continueraient à pleurer.
Dans l’après-midi du 20 janvier, le calme semble revenu et à 18 h le couvre-feu est effectif. Bokassa prend la parole à la radio : "J’ordonne que les troubles cessent immédiatement." Dans la nuit, seuls quelques coups de feu sporadiques se font entendre. Les gens enterrent leurs morts. Il est pratiquement impossible de dénombrer ceux-ci avec exactitude. Ils atteignent peut-être la centaine. La haine a envahi les cœurs et ne s’apaisera pas. Bokassa se rappelle maintenant qu’il avait mis en prison en septembre 1978 un camerounais qui avait prédit que le sang allait bientôt couler sur l’empire. Il l’extrait, le comble de cadeaux et le renvoie dans son pays.
A son habitude, il tente de récupérer le mouvement et de trouver des boucs émissaires. Il convoque à la présidence les parents et les élèves, mais neuf d’entre eux seulement se présentent. Il charge alors son Premier ministre Maïdou, très populaire chez les enseignants, de les réunir au palais. Ambroise Ndjapou, ancien maire, et Marie-Pauline Malezevo exposent, sous les applaudissements de l’assistance, les problèmes des maîtres et demandent un paiement régulier de leurs traitements. Bokassa dénonce ensuite les défaillances de Maïdou, de Kazagui et de Zokoé, et invite le trésorier-payeur à aligner les enseignants sur les forces de l’ordre parmi les prioritaires.
L’alerte a été chaude pour Bokassa, qui paraît avoir effectué un rétablissement, mais Pour combien de temps ?
Extrait du livre d'André Baccard, "les martyrs de Bokassa" publié aux Editions du Seuil - 1987 -
Le 20 janvier 2020