Les événements survenus dans la capitale du 18 au 20 janvier 1979 n’ont pas laissé insensibles les élèves de province qui formulent les mêmes revendications que leurs camarades de Bangui.
Un peu partout les esprits s’échauffent et des manifestations de soutien s’organisent. La répression fera là aussi des victimes, heureusement plus rares.
A Bossangoa, les lycéens et les élèves se rassemblent le 30 janvier et marchent vers la place de l’Empire. Encadrés par les anciens combattants, chantant l’hymne national, ils portent un tableau noir sur lequel ils ont écrit en blanc et rouge : "Nous ne faisons pas de mal. Nous compatissons à la douleur de nos frères". Ils expriment leurs doléances au préfet : droit aux bourses, retour à la république. Le préfet déclare qu’il transmettra.
Leur marche paraît devoir continuer pacifiquement quand un incident met le feu aux poudres. Maladroitement, des policiers manœuvrent la culasse de leurs fusils. Ce n’était vraiment ni le lieu ni le moment.
Aussitôt, une pluie de cailloux s’abat sur eux et les paisibles écoliers se changent en émeutiers. Rapidement, des oisifs grossissent leurs rangs et des bandes déchaînées arrachent les effigies de Bokassa et mettent à sac le commissariat de police, la maison d’arrêt, le magasin Moura. Vers 14 h seulement, l’ordre est rétabli.
Le lendemain 31 janvier 1979, l’émeute reprend. La foule saccage la boutique d’un boucher qui passe pour un profiteur du régime, brûle ses voitures et promène sa femme entièrement nue à travers les rues. Un détachement de l’armée arrive le lendemain. Beaucoup de gens s’enfuient encore mais l’ordre public a été rétabli sans qu’on ait eu à déplorer de victimes. Dans les jours suivants, la tension, jusqu’alors circonscrite au chef-lieu, se propage jusqu’à la sous-préfecture voisine de Bouca.
Le lundi 5 février, les élèves de la localité, auxquels se sont mêlés des lycéens venus de Bossangoa, saccagent la brigade de gendarmerie, incendient le tribunal et la prison, pillent une station d’essence.
Le préfet Bemakassoui intervient dans l’après-midi avec un petit détachement armé qui tire en l’air pour disperser les manifestants. Le couvre-feu est proclamé et le lendemain, dès l’aube, le préfet harangue la population par haut-parleur et lui recommande de rester chez elle.
Des jeunes gens cachés derrière une maison s’enfuient à la vue de la troupe. Un coup de feu atteint le petit Fiossona, âgé de 3 ans, dans les bras de sa mère. La deuxième victime de Bouca sera un garçon de 16 ans, qui, malmené par les militaires, mourra quelques jours plus tard au poste de santé de Dy.
La troupe ramasse en outre 13 personnes qu’elle ramène à Bossangoa. Enfermées dans la porcherie de la préfecture, on les fait ensuite sécher au soleil sur une terrasse "comme du manioc" avant de les transférer à Ngaragba.
C’est à Bouar que surviennent les événements les plus significatifs et les plus sanglants. Déjà, pour éviter que les manifestations de Bangui ne se propagent dans cette ville, le gouvernement a interdit tout mouvement d’étudiants et de lycéens entre Bouar et la capitale. Il revient au général Ambroise Ngbalé, commandant la place d’armes, de mettre à exécution cette instruction. Le général a sous son autorité le 1er bataillon d’infanterie, commandé par le lieutenant-colonel Kpokoumondé, et le 3e groupement de gendarmerie, placé sous l’autorité du commandant Kossianga. Il dirige lui-même un centre d’instruction militaire, centre qui, toutefois, n’a pas encore connu le moindre commencement de réalisation. Bokassa a déjà tenté à plusieurs reprises de l’impliquer dans des complots et Ngbalé se rend parfaitement compte qu’il a été placé à Bouar sur une voie de garage.
En fait, le pouvoir véritable appartient à Kpokoumondé, un proche de Bokassa, que la population déteste d’autant plus et qu’elle appelle "le deuxième empereur". Le général Ngbalé avise les autorités des ordres qu’il a reçus, et notamment le préfet et le proviseur du lycée. Il décide aussi de s’expliquer devant les lycéens, auprès desquels il bénéficie d’une popularité certaine : il fréquente volontiers les jeunes et joue au volley-ball avec eux. Le lundi 29 janvier, vers 9 h, le général se rend au lycée avec le commandant de la gendarmerie, le commissaire de police et quelques gendarmes et policiers pour leur protection.
Les élèves du second cycle accueillent favorablement son exposé, il a moins de succès auprès des plus jeunes. Ceux-ci, mécontents de l’introduction de militaires à l’intérieur du lycée, arrêtent les cours et lancent des cailloux sur la voiture du commandant Kossianga. Ils marchent sur la ville mais se dispersent rapidement. Dans l’après-midi, une séance de travail regroupe les autorités et les parents d’élèves dans le but de convaincre les jeunes de reprendre les cours. Tout semble s’apaiser puisque ceux-ci ont lieu effectivement le 30 janvier 1979.
Extrait du livre d'André Baccard "les martyrs de Bokassa" paru aux Edition du Seuil - 1987 -
Le 19 janvier 2020