Ce 19 janvier 1979, la foule débouche de toutes les rues avoisinantes, se regroupe devant la statue de Boganda, et les premiers rangs s’agenouillent. Parmi eux, de nombreux jeunes gens ont ceint leur tête d’un bandeau blanc pour signifier que leur démarche se veut pacifique et qu’ils ne craignent pas la mort. Dans la ferveur, ils chantent l’hymne national, qui a précisément été écrit par Boganda, en français puis en sango. La foule applaudit tandis que les policiers, casqués, l’arme à la bretelle, font face à des manifestants solidement encadrés par des étudiants qui cherchent à éviter tout affrontement.
Vers 10 h, les élèves reprennent leur marche et se dirigent vers la place de la République - elle n’a pas encore été débaptisée malgré l’avènement de l’Empire - où les lycéens venant de Ouango doivent les rejoindre pour porter leurs doléances au palais de la Renaissance. Ils arrivent sur la place en même temps que les troupes commandées par les généraux Mayomokola et Bozizé. Une pluie de cailloux accueille les soldats, qui réagissent violemment et dispersent à coups de crosse les manifestants.
Ceux-ci refluent en désordre Par les avenues de France, Boganda et Dacko. Des gamins crient : "Papa, payez nos parents." Les vitres de la librairie centrafricaine volent en éclats, des lampadaires sont renversés et les élèves, poursuivis par la troupe, abandonnent sur la chaussée serviettes, livres, cahiers ou chaussures. Aucun coup de feu n’a été tiré : les troupes ne disposent d’ailleurs d’aucune munition.
Vers 11 h le centre-ville a retrouvé son calme et les forces de l’ordre embarquent dans des camions les derniers jeunes gens appréhendés. L’agitation s’est déplacée vers les quartiers populaires. Dans leur retraite, au km 4, des élèves s’en prennent à une des villas de Bokassa.
Au carrefour des avenues Boganda et Bokassa, d’autres saccagent le magasin Pacifique 2 où Bokassa tenait un commerce de téléviseurs, d’appareils de radio et de musique, et les godobé, attirés par le pillage, se mêlent aux étudiants et emportent sur la tête qui un téléviseur, qui une radio ou un magnétoscope.
Dans l’après-midi, des groupes d’élèves parcourent les quartiers en criant : "Nous nous battons pour nos parents." Des barricades s’élèvent au quartier Gobongo et aux abords de l’industrie centrafricaine de textile. De son côté, l’armée par prudence a installé un petit état-major et un corps d’intervention au building administratif.
C’est là que, vers 17 h, le directeur technique de l’ICAT rapporte que l’usine textile a été saccagée. Aussitôt, Mayomokola rassemble deux sections dans deux camions et part, suivi par le général Bozizé et quelques officiers. En fait, l’ICAT n’avait subi aucun dommage, son directeur s’était affolé inutilement à la vue d’un cortège de manifestants qui étaient passés devant pour occuper un peu plus loin le carrefour de Fouh.
Cette fois, la nouvelle que la troupe occupe l’ICAT a le don d’exciter cette foule qui revient sur ses pas avec l’intention d’en découdre avec les militaires. Il est 18 h 30. Pierres et flèches s’abattent sur les soldats et leurs véhicules. Les soldats, n’ayant pas de munitions, ne savent trop comment se mettre à l’abri. Bientôt, harcelés de partout, ils montent dans les camions et se replient dans la direction de l’aérodrome. Le commandant de la gendarmerie, le chef d’escadron Ndacko, a été avisé au téléphone par Assombélé que Mayomokola et Bozizé étaient encerclés à l’ICAT et qu’il lui appartenait de les dégager. Ndacko répond qu’il ne reçoit d’ordre que de l’Etat-major et passe à la présidence où des ministres désemparés se tiennent en réunion permanente.
Il est 21 h 15. Bokassa vient d’arriver pour la circonstance il a revêtu la tenue militaire. Devant l’ampleur de la révolte, il donne l’autorisation de distribuer des munitions et d’ouvrir le feu. A Ndacko, il confirme l’ordre d’Assombélé d’avoir à intervenir pour dégager l’ICAT. Ndacko embarque avec lui un officier, un sous-officier et quelques hommes.
A proximité de l’ICAT, il fait lancer une grenade lacrymogène pour disperser les manifestants. Dans l’usine, il ne découvre qu’une seule personne, Inga, qui s’est caché sous une table. Il prend la direction de l’aéroport et retrouve Bozizé au marché de Kangoya. Mayomokola est parti du côté de l’aérodrome avec son aide de camp et de là a regagné le camp de Roux.
A l’ICAT, entre-temps, les hommes de Ndacko ont lancé des grenades et fait usage de leurs armes pour se dégager. Un cadavre gît sur le sol. Sans doute y en avait-il d’autres. La foule, excitée par les jets de grenades et les tirs, s’est massée autour de l’usine, et, quand Bozizé revient avec ses hommes, il est accueilli par un déluge de cailloux. Il décide alors de se retirer à l’Etat-major. Jean-Bedel Bokassa et François Bozizé@
Extrait du livre d'André Baccard "les martyrs de Bokassa" paru aux Editions du Seuil - 1987.
Le 19 janvier 2020