- Accueil
- Politique - Diplomatie 1
- Discours d'investiture de Karim Meckassoua
Discours d'investiture de Karim Meckassoua
Mes chers compatriotes,
Je m’adresse aux enfants pleins de courage d’une mère-patrie qui souffre. Notre pays, la République Centrafricaine, est malade. Oui, elle est malade et victime depuis trop longtemps de nombreux malheurs. Ces malheurs s’appellent violences, coups d’État, insécurité, instabilité, tribalisme, mauvaise gouvernance, prédation, gabegies, vols et détournements de biens publics, corruption, impunité. J’arrête la liste ici.
Malade, oui… Mais il existe un remède. Un remède en chacun de nous. Un remède qui naît de notre union. Un remède qui peut guérir la Centrafrique. Un remède qui commence aujourd’hui. Ce remède, c’est notre volonté.
De la volonté, un homme n’en a pas manqué. C’était il y a quelques jours, sur notre terre de Centrafrique. C’était il y a quelques jours, ici même, à Bangui. Son souvenir nous émeut encore. Son message vibre encore en nous. Cet homme qui n’a pas eu peur de venir jusqu’ici nous rencontrer, c’est le Pape François.
Comme vous tous, j’ai écouté le Pape François prononcer des vœux pour notre pays. Le Pape François a parlé à tous les Centrafricains, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur ethnie et leur religion, quel que soit leur quartier. Et que nous a-t-il dit ? Que la réconciliation était le chemin nécessaire vers la paix. Que la démocratie ouvrait la voie vers le développement. Que l’union des cœurs et la lutte contre les ferments de la haine dessineraient la nouvelle Centrafrique.
Ce message, je l’ai entendu. J’ai voulu que le Pape François vienne jusqu’à nous pour nous le dire. Ce message, aujourd’hui, je le fais mien. Je le respecte et je veux l’appliquer. Car pendant ces deux journées historiques que nous raconterons à nos petits-enfants, les rues étaient calmes, la paix civile régnait, les communautés s’unissaient.
Le Pape François est allé partout à Bangui. Au KM5, à la FATEB et à Saint-Sauveur. Auprès des autorités comme auprès des plus démunis. Il a trouvé partout sur son chemin de l’espoir, de la volonté. Il a montré que le cauchemar pouvait prendre fin.
Vous le voyez, le meilleur est à notre portée. Alors aujourd’hui je vous le demande : ne décevons pas le Pape François. Rendons-lui ce qu’il nous a donné. Soyons digne de son espérance !
Voilà pourquoi je suis venu vous parler aujourd’hui : j’ai la volonté de nous réconcilier, de rassembler notre peuple face aux défis qui sont les nôtres. J’ai la volonté de dépasser les clivages, les différences et les tranchées que des barbares ont creusées pour livrer la Centrafrique à la guerre civile. J’ai la volonté d’unir les forces de notre pays pour tirer le meilleur de ses ressources, les femmes et les hommes de Centrafrique. Pour tirer le meilleur de ses richesses, si nombreuses mais inexploitées.
Oui, je veux nous réconcilier.
On ne réconcilie pas seul ; c’est pourquoi j’ai besoin de vous, de votre unité, de votre courage, de votre force et de votre tolérance pour passer un coup de balai sur les erreurs d’hier, sur la peur, sur les crimes, sur la vengeance qui a animé les pires esprits ces dernières années.
Mes chers amis, pour nous réconcilier et offrir la Paix à la Centrafrique, nous devons d’abord nous dire la vérité. Et cette vérité est cruelle.
L’Etat de Centrafrique est à terre. Utilisé, détourné, maltraité, braqué, l’Etat centrafricain n’assure plus ses fonctions de base. Que lui demande-t-on ? De nous protéger. De nous rassurer. De nous apporter l’assistance. De payer ses fonctionnaires, ses gendarmes, ses professeurs. De financer les bourses de ses étudiants. De payer les pensions des veuves et celles des retraités.
Mais où est l’Etat centrafricain ? Il a déserté, abattu par des bandes armées sans foi ni loi qui sèment la terreur, la mort et la misère.
Ensemble, notre premier devoir sera de remettre l’Etat en place et de rétablir son autorité. Son autorité à Bangui, son autorité dans chacune des préfectures de Centrafrique, son autorité dans chaque foyer, dans chaque activité, sur chaque route. Sans Etat fort, il n’est pas de République debout.
Je m’y engage aujourd’hui devant vous : élu demain votre Président, je rétablirai l’autorité de l’Etat partout où il manque, partout où on l’attend, partout où les familles, les commerçants, les éleveurs, les paysans, les élèves et les professeurs en ont besoin.
La vérité, c’est aussi vous dire que la misère s’est emparée de notre pays. Elle frappe à chaque instant les femmes, les enfants, les hommes de Centrafrique. Elle s’abat sans distinction d’âge, de sexe, d’ethnie, de situation, de géographie.
Mais la misère a ses responsables. Qui y a plongé notre pays ? Vous le savez bien ! On ne dira pas leurs noms aujourd’hui… Mais des dirigeants politiques, des irresponsables responsables du chaos et de la déchéance, ont jeté la Centrafrique dans les bras de la mendicité. Non, je ne veux pas que la Centrafrique demeure à genoux. Non, je ne veux pas que mon peuple fasse l’aumône.
Oui, j’ai la volonté que mon peuple redresse la tête, qu’il parle avec fierté, qu’il nourrisse ses enfants. Oui, j’ai la volonté que mon peuple ait confiance en l’Etat, en sa providence. Oui, j’ai la volonté de vous redonner de l’espoir et de la fierté. Oui, j’ai la volonté de changer le regard que nos frères africains portent sur nous. Cette volonté, aujourd’hui, je veux que nous la partagions tous !
Mes chers compatriotes, si je viens devant vous aujourd’hui, c’est pour vous annoncer que je suis prêt à présider à notre destin, à p résider la République centrafricaine. Oui, je veux remettre la Centrafrique d’aplomb, je veux reconstruire notre destin avec vous, et avec vous tous. Oui, je suis candidat.
Nous vivons un trop long cauchemar. La corruption, l’irresponsabilité puis la violence ont tenté de briser notre aspiration à la Paix et au Développement. Le cauchemar doit prendre fin, et j’ai besoin de vous pour reprendre le fil du destin centrafricain.
Aujourd’hui, je suis prêt. Je veux offrir à la Centrafrique mon intégrité, ma compétence, ce qu’elle m’a donné, ce qu’elle m’a appris. Je n’ai rien oublié. Je n’ai pas oublié l’enfant choyé que j’étais par l’amour maternel dans un foyer modeste où l’on m’a inculqué les valeurs de la politesse, du travail, de l’honnêteté, de l’intégrité et le respect du vivre. Je n’ai pas oublié mes cinq frères et sœurs, le commerce de mon père qui faisait vivre la famille, la modestie mais le goût de l’effort.
Je n’ai pas oublié ces principes de vie, ni l’écolier que j’étais à l’école Koudoukou. Je n’ai pas oublié le contact de ces maîtres d’école et de mes professeurs dévoués, Sœur Marie et maître Mandamea, qui m’ont formé.
Je n’ai pas oublié le Bangui de mon enfance, KM5 dont je ne suis jamais vraiment parti, où je suis toujours revenu.
Je n’ai pas oublié le jeune cadre ambitieux rempli de rêves qui tenait à fonder une famille et assurer un avenir à ses enfants. Je n’ai pas oublié mes camarades étudiants à Paris auprès de qui j’ai milité pour défendre les intérêts et une certaine conception de la Centrafrique éduquée, libre, démocratique, forte.
La République Centrafricaine m’a vu naître et grandir. Elle m’a tout donné. Elle a fait de moi ce que je suis devenu aujourd’hui. J’ai eu cette chance et je veux aujourd’hui vous la donner. Voilà le sens de mon engagement, voilà les raisons de ma volonté : donner à chacun le droit à une vie décente et construire l’égalité des chances.
Aujourd’hui, je choisis de devenir le premier serviteur de la Centrafrique. Quand on aime son pays, on ne peut rester indifférent à la souffrance de celles et de ceux qui ne voient aucun avenir à portée de main, qui se sentent exclus et dont le seul projet consiste à survivre à la ville, à la campagne, dans des camps de déplacés ou de réfugiés.
A travers vous, mes amis de Bangui, je m’adresse à tous les Centrafricains. Je m’adresse aux Centrafricains de Bossangoa et de Birao, de Bouar et de Bambari, de Bangassou et de Berberati, de Batangafo et de Mobaye. Disons notre fierté d’être Centrafricains et faisons respecter notre volonté. Notre volonté d’être dignes, de nous réconcilier, de travailler à notre destin commun.
Elu demain Président de la République, je défendrai deux projets simples. Simples, mais attendus depuis si longtemps. Le premier : nous réconcilier. Le second : nous développer.
Comment allons-nous nous y prendre ? Je veux avant tout réconcilier tous les êtres et toutes les forces de mon pays. J’irai bientôt revoir nos frères dans les préfectures. J’irai bientôt revoir nos sœurs que la violence a jetées sur les routes et parfois hors de notre mère-patrie. Je leur dirai ce qui s’est passé, aujourd’hui, avec vous. Je leur dirai que nous avons prononcé le serment de l’union et de la fraternité. Je leur dirai que lorsque le sang d’un Centrafricain coule, c’est l’existence-même de notre pays qui est remise en cause.
Je leur dirai que chacun aura son mot à dire dans la conduite des affaires de l’Etat. Je leur dirai que toutes les composantes de notre société seront représentées. De quelque région, de quelque ethnie, de quelque profession et de quelque origine que nous sommes, le temps est venu de nous réapproprier le pouvoir et les responsabilités, à condition de savoir les partager.
Je leur dirai que la démocratie centrafricaine est au cœur de mon projet de réconciliation, que le temps est venu pour les irresponsables d’abandonner ce qu’ils ont détruit. Je leur dirai que la liberté d’expression sera restaurée, qu’il n’y a d’élections et de compétition démocratique que pluralistes.
Je leur dirai que ma gouvernance reposera sur le dialogue permanent avec toutes les entités de notre pays. Je leur dirai que certains s’acharnent à conserver un pouvoir dont ils ne font rien, alors que mon projet est de vous le rendre.
Je leur dirai que je serai votre Chef, un guide pour réconcilier et développer la Centrafrique. Que je laisserai chacun me juger, m’aider, me conseiller.
Je leur dirai que je respecterai l’équilibre et l’indépendance des pouvoirs. Que c’est à nous d’assurer notre propre sécurité, que nous ne pourrons pas éternellement vivre avec tant de soldats frères dans nos villes.
Je leur dirai que face à la corruption, je ne connais qu’un seul principe : la tolérance zéro. La tolérance zéro pour les voleurs, qu’ils portent la cravate ou pas.
C’est cela que je suis venu vous dire : nous réconcilier, c’est vivre avec les mêmes principes, les mêmes lois, la même volonté d’écoute. Qu’on en finisse avec l’impunité des grands qui entraîne l’incivisme des petits.
Je veux une Centrafrique de citoyens, je veux une Centrafrique aux mains propres. L’heure de la réconciliation commence maintenant.
Mon second projet, c’est le développement pour que la Centrafrique puisse à nouveau nourrir ses enfants, leur offrir un avenir. Pour que l’exil ne soit pas la seule option de ceux qui veulent construire, prospérer, embaucher, commercer.
Nous adhérons au projet sous régional d’émergence économique. Ce n’est pas une utopie. Les Occidentaux ont mis 100 ans pour atteindre le niveau économique de l’Angleterre, seul pays industrialisé à l’époque ; les pays émergents d’Asie et d’Amérique latine ont mis 40 ans pour atteindre le niveau économique des pays occidentaux. Forts de leurs expériences, 15 à 20 ans devraient nous suffire à faire de la Centrafrique un pays pré-émergent, puis émergent.
Dès que vous m’aurez élu Président, je ferai adopter trois lois :
- Le Programme loi-cadre d’émergence économique ;
- La Loi des cadres organiques afin de mettre un terme au clientélisme ;
- La Loi sur la Gestion Axée sur les Résultats (GAR) afin de nous remettre tous à l’œuvre et de reconstruire notre pays.
Pour y arriver, nous devrons transformer notre économie et privilégier le développement de l’agriculture et de l’industrie. Notre pays est riche. Très riche, mais il n’exploite pas ses ressources. Nous avons de l’eau, des forêts, des ressources minières. Et qu’en faisons-nous ? Nous avons des femmes de courage, des hommes de volonté, des jeunes pleins d’aspirations et d’ambitions. Et qu’en faisons-nous ?
Moi, je vous le dis, j’ai confiance en vous. Je connais les ressources des Centrafricains. Je sais ce que nous sommes capables de réaliser ensemble.
Dans le développement économique, les jeunes et les femmes doivent jouer tout leur rôle. L’Etat doit encourager votre participation active à la transformation de l’économie en vous permettant d’accéder aux sources de financement. Un petit prêt pour un grand projet, multiplié par la foule que nous représentons, et nous changerons le visage de la Centrafrique.
Le développement d’une plate-forme d’infrastructures de base devra être le résultat d’un dialogue entre les communautés afin d’éviter les disparités dans l’effort de reconstruction. Un peuple uni et réconcilié avec lui-même qui rejette toutes formes d’exclusion ou de discrimination doit être associé pleinement aux choix des priorités de développement.
Demain, mon rôle de Président de la République sera de réaliser les réformes qui stimuleront l’investissement dans un secteur privé performant, pourvoyeur d’emplois pour les jeunes. Le secteur privé doit devenir le moteur de la croissance.
Mes chères compatriotes, pour réaliser ses projets, pour nous réconcilier et nous développer, j’ai besoin que vous soyez unis.
Unis pour combattre la pauvreté, pour combattre les démons de la division, pour combattre le venin de la haine qui a décimé des innocents sur son passage, pour combattre la folie des clivages ethniques, politiques et religieux qui a failli emporter notre fraternité.
Nous n’oublierons jamais ce qui s’est passé ces dernières armées. Nous nous inclinerons toujours devant la mémoire des innocents arrachés à la vie. Nous serons à jamais reconnaissants à l’égard des pays amis qui sont venus en masse pour que la Centrafrique ne sombre pas.
Il est temps que la transition s’achève et qu’une nouvelle ère s’ouvre pour la Centrafrique. Il est temps de retrouver la fierté de nos ancêtres. Là où il repose, Barthélémy BOGANDA nous regarde. Il était orphelin mais il avait une patrie. Il était Centrafricain mais il voulait construire la fraternité africaine. Il était pauvre mais il avait confiance dans les ressources de notre peuple et de notre terre.
Il est temps de retrouver l’espoir et de l’insuffler à notre pays.
Alors mettons nos forces au service de la Patrie et non des intérêts particuliers ! Soyons dignes de nos pères qui ont vaincu à Bir Hakeim. Retrouvons l’esprit de Koudoukou et Karinou.
Relevons-nous et sortons de cette longue transition. Bientôt, mes amis, nous voterons. Bientôt, mes amis, nous unirons nos forces pour sortir notre gbaloukouma de la piste où il s’est embourbé. Le jour du vote, je veux vous voir, fier de sortir des ténèbres pour affronter notre destin.
Nous en avons assez de subir les passions des uns et les erreurs des autres. Soyons souverains, soyons unis, soyons solidaires. Nous ne méritons ni la souffrance, ni la pitié, ni la désolation, ni la tristesse.
Je veux ce rendez-vous avec vous. Je suis prêt à assumer mes responsabilités et répondre à votre appel. Je n’ignore rien des difficultés qu’il nous faudra affronter. Au club de Fatima, j’ai appris la boxe, je sais me défendre, parer aux coups. Je vous dirai la vérité. Trop longtemps on nous a menti, on nous a guidés vers des voies sans issue, on a bafoué notre unité.
Je suis un homme de compromis. J’ai occupé des fonctions ministérielles, je me suis formé à la responsabilité publique. Je saurai trouver les voies de la réconciliation et du développement. Je saurai, avec vous, ramener la Paix pour rassurer nos frères africains et nos partenaires internationaux.
Comme le paysan qui cultive sa terre, comme le pêcheur qui attrape le capitaine dans le fleuve Oubangui, comme le conducteur de taxi moto qui conduit ses clients, comme la femme qui va chercher de l’eau trop loin du foyer, comme l’enfant qui va chercher du bois, je ferai mon devoir de Président. J’irai porter mon fardeau. Comme vous, je garderai la tête haute.
Aujourd’hui, vous et moi, nous avons la volonté. C’est elle qui nous guidera et nous donnera le courage de vaincre les difficultés.
Aujourd’hui, je veux être votre Président. Je sais qui nous sommes ; vous savez qui je suis.
Aujourd’hui, je vous donne rendez-vous.
Vive la Centrafrique
Abdou Karim Meckassoua
Le 4 décembre 2015