Honorable Monsieur le Président,
Honorables Députés,
Distingués invités,
Je suis ravi d’être parmi vous aujourd’hui dans cet hémicycle. Je suis également très content d’être de retour en République centrafricaine 20 ans après y avoir commencé ma carrière, en tant qu’économiste au Fonds Monétaire International -FMI-. Makhtar Diop@pan
Je me souviens comme si c’était hier d’un voyage que j’avais effectué alors à Bayanga dans la Lobaye. Je m’étais trouvé dans la situation peu enviable où alors que nous marchions dans la forêt, le guide nous avait soudain demandé de ne plus bouger car un éléphant menaçait de charger. Je me souviens pourtant de la Centrafrique comme d'un pays magnifique, au potentiel immense, ce qu’on appelle chez les économistes le capital naturel (j’y reviendrais). Je voudrais aussi brièvement évoquer la mémoire de mon père qui fait partie du groupe des avocats venus défendre l’opposant, Ange Félix Patassé, futur Président de la République. Comme vous pouvez donc le constater, la Centrafrique occupe donc pour moi, une place particulière.
Demain, je poursuis ma visite avec le Président Faustin Archange Touadéra à Bambari, préfecture de la Ouaka, deuxième ville du pays, où se joue, en partie, l’avenir de la Centrafrique.
Je souhaite profiter de l’occasion pour souligner toute l’admiration que j’ai pour le Président Touadéra, qui continue jusqu’à aujourd’hui d’enseigner à l’Université de Bangui en sa qualité de professeur de mathématiques, malgré ses lourdes responsabilités.
A Bambari, je compte mesurer de visu avec le Président Touadéra l’ampleur de la tâche qui nous attend pour reconstruire votre pays après plus de deux décennies de conflit.
J’imagine également les attentes de la population en matière d'accès aux services de base que ce soit l’eau, l’électricité, l’éducation ou encore la santé. Ces populations ont trop longtemps souffert et ne demandent qu'à tourner la page et contribuer à rebâtir le pays.
Un nouveau contrat social pour la Centrafrique
Je souhaite entamer mon propos par un point plus général. A l’époque où je travaillais sur la Centrafrique, les questions de sécurité n’étaient pas perçues comme étant une composante importante du processus de développement. Aujourd’hui, les événements que l’on vit à travers le monde, du Moyen-Orient à la Corne de l’Afrique ou au Sahel, montrent que les deux problématiques vont de pair.
Sans sécurité, pas de développement. Mais une croissance économique faible et/ou mal répartie fait également le lit de la violence dans villes, nos campagnes.
C’est la raison pour laquelle ce que nous faisons tous ensemble pour remettre l’économie de la Centrafrique sur pied en jonction avec les forces de sécurité, permettra de rompre le cycle des nombreuses crises qui secourent l’histoire de la Centrafrique.
Ce nouveau contrat social exige une responsabilité partagée :
1) Nous, partenaires de la Centrafrique, devons mettre à la disposition du peuple Centrafricain les mesures financières nécessaires à son développement économique ;
2) Les composantes essentielles que sont l’exécutif, le législatif, le judicaire, et la société civile, doivent créer un espace de dialogue et d’échanges.
3) Mais ceci exige également une approche différente à la jeunesse, qui constitue en réalité la force sans laquelle aucun contrat social renouvelé ne peut s’inscrire dans la durée.
Reconstruire les institutions
Hormis le coût, quelle est la différence entre stabiliser et reconstruire ? Et bien de mon point de vue, la stabilisation est une solution de substitution, portée par l’extérieur, alors que la reconstruction ou encore le développement, est un processus qui vient de vous et implique de rebâtir les institutions du pays, ce qu’on appelle dans mon vocabulaire d'économiste "construire le capital social" [qui avec le capital humain, naturel et produit fait la richesse d’une nation], le vivre ensemble avec des règles et des organisations acceptées par tous.
Un livre a fait grand bruit il y a quelques années dans notre petit milieu de spécialistes du développement. Son titre en français est "Pourquoi certaines nations échouent". Le livre est écrit par deux économistes des institutions, un courant puissant de l’économie qu’on appelle économie institutionnelle (Acemoglu et Robinson).
Ce livre estime que la raison qui explique qu'une nation ne s'en sort pas malgré ses richesses naturelles et la qualité de ses hommes (ils prennent l’exemple d’Haïti et du Congo), tient au fait que ses institutions historiquement ont été construites pour servir les intérêts de quelques-uns au lieu de ceux de la Nation toute entière. A ces nations qui ont failli, les auteurs opposent l’Amérique des pères fondateurs qui, elle, a construit dès le début de son histoire des institutions au service de tous [donc démocratiques] car c’était la seule façon pour les premiers migrants anglais de survivre pendant l’hiver en attendant le retour des bateaux au printemps.
Je suis honoré d’être parmi vous aujourd’hui, au sein du premier Parlement démocratiquement élu de la république centrafricaine. Vous êtes l’espoir de la nation. Vous venez en plus de créer d’autres institutions très importantes dont la cour constitutionnelle, ce dont je vous félicite, c'est à dire vous mesdames et messieurs les députés, élus du peuple qui avaient pour mandat de reconstruire le pays.
Et c’est pourquoi une Conférence parlementaire mondiale sera organisée à Washington par la BM en collaboration avec le FMI et le Parliament Network en marge des réunions de printemps en avril prochain. L’événement aura pour vocation d’intensifier notre engagement avec les parlementaires, et de faciliter les échanges entre plus de 200 parlementaires du monde entier. La BM entend également organiser un atelier en RCA au mois de mai, afin de renforcer les fonctions de contrôle parlementaire en matière de finance publique. Cet atelier sera également l’occasion de présenter un détail le portefeuille de la BM en RCA, et de discuter des opportunités de collaboration éventuelles.
J'en profite pour signaler que parler des projets de la Banque mondiale serait inexact car il s'agit de vos projets, mis en œuvre par vos institutions, lesquelles sont renforcées par les projets qui les financent. Par exemple, pendant la crise, nous vous avons aidé à payer les salaires des fonctionnaires pour éviter que l’Etat ne s’effondre avec l’économie (qui elle s’était contractée de 34 % en 2013). C'est aussi la raison pour laquelle nous vous avons aidé à mettre en place une institution capitale : l’agence centrale comptable en chef du trésor de manière à séparer les fonctions d’ordonnancement et de paiement. C’est toujours la même raison qui nous a poussés, en raison des enjeux que représente la sécurité dans votre pays, à vous aider à préparer une revue des dépenses publiques dans le secteur de la sécurité. Un pays ne peut en effet pas se reconstruire sans l’institution essentielle qu’est l’armée -ainsi que la police et la gendarmerie-. Mais pour qu'une telle institution soit au service de tous, elle doit impérativement se soumettre aux règles de bonne gestion des finances publiques et de contrôle démocratique par le parlement.
Le premier rôle d’une institution comme la Banque mondiale dans un pays comme la Centrafrique est donc avant tout d’aider le pays à reconstruire, ou peut-être même construire, ses institutions. Par exemple, le prochain projet que nous allons présenter à notre Conseil d’administration, dans le cadre de notre réengagement de sortie de crise, est un projet de reconstruction de l’Institut national de Statistiques, ICASEES. Le projet suivant soutiendra la cellule présidentielle qui gère les questions de DDR. Puis nous aiderons également les municipalités à planifier leur développement, notamment la construction d’infrastructures, et le ministère des affaires sociales à préparer une politique de protection sociale. Permettez-moi de finir cette intervention par trois remarques qui selon moi permettront de juger le succès de la reconstruction.
Investir dans l’accès aux services de base et la relance de l’économie au Centre et à l’Est
Vous ne parviendrez pas à reconstruire le pays si vous ne luttez pas de manière volontaire contre l’exclusion, en premier lieu l’exclusion géographique. Il faut donc désenclaver le centre et l’Est du pays comme je l'ai souligné un peu plus tôt. Il faut améliorer l’accès des populations vivant à l’est aux services de base que sont l’eau, l’électricité, la santé et l’éducation. Enfin, il faut ré-ouvrir les routes et relancer l’agriculture pour créer de l’emploi notamment chez les jeunes.
Ce n’est pas une mince affaire car la région de l’est est difficilement accessible -pas de routes, pas d’avion sauf UNHAS et MINUSCA- et encore aux mains des groupes armés même si la MINUSCA est présente. Malgré ces défis, nos équipes sont déjà à pied d’œuvre en train de préparer des projets pour l’Est.
Par exemple, en partenariat avec la MINUSCA et l’agence des Nations unies pour les opérations et la passation de marché et UNOPS, nous sommes en train de ré-ouvrir la route entre Kaga Bandoro et Ndélé. Réouverture que nous poursuivrons d’ailleurs par le tronçon Ndele-Birao. Une telle réouverture favorisera la reprise et la baisse du coût des échanges commerciaux entre le Soudan et les provinces de la Vakaga, du Bamingui-Bangoran et de la Ouaka en République centrafricaine.
Gouvernance et climat des affaires
La reconstruction rapide du pays ne doit pas consister à brader ses richesses. Le pays, vous le savez mieux que moi, regorge de ressources naturelles. Pourtant il est fondamental que les contrats miniers notamment soient négociés en toute transparence.
Il est également important que la République centrafricaine devienne progressivement un territoire attractif pour les entreprises qui investissent déjà dans les autres pays d’Afrique centrale. Pour le moment, le climat des affaires n’est guère attractif, fait peu étonnant compte tenu de ce que vous avez traversé.
Dans certains secteurs, les partenariats publics privés seront importants, notamment l’eau, l’énergie (hydro et solaire), l’agrobusiness (coton, huile de pale, cacao/café) ou encore les télécoms. Dans les deux cas, le législatif a un rôle majeur à jouer pour protéger l’exécutif et ne pas laisser les affairistes, qui se pressent depuis quelques mois pour présenter leurs offres de service, décider du destin du pays...
Le Groupe de la Banque mondiale est aux côtés de l’Assemblée nationale pour réformer le code minier, améliorer le climat des affaires et organiser, avec l’appui de la Société financière Internationale -SFI-, une conférence des investisseurs à Douala comme discuté avec le président Faustin Archange Touadéra en marge de la conférence de Bruxelles. Cette conférence pourrait être organisée au mois de mai. Il faudra lancer un signal fort aux investisseurs potentiels afin qu'ils participent pleinement au processus de reconstruction.
Il s’agira également de repenser le développement de manière à accélérer le progrès, en utilisant des nouvelles technologies par exemple. Au Rwanda, où je me rendrai prochainement, les médicaments et les dons de sang sont livrés par drones en moins de 30 minutes dans le pays entier, permettant ainsi de sauver de nombreuses vies. Nous pouvons également vous aider à mobiliser la responsabilité sociale de grandes entreprises telles que Google, au travers desquelles de telles initiatives innovantes pourraient être pilotées.
Vous aurez également accès aux ressources prévues dans la nouvelle enveloppe IDA 18 pour favoriser le développement du secteur privé dans les pays fragiles. Ma collègue directrice de la SFI pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale vous rendra visite à la fin du mois pour identifier avec vous les secteurs sur lesquels vous souhaitez focaliser ces nouvelles ressources.
Mécanismes de mise en œuvre du plan de redressement
La Banque mondiale n’est pas le seul partenaire au développement du pays. La Banque africaine de développement, l’Union européenne, les fonds arabes, le FMI et la France ont annoncé à Bruxelles des projets d’un montant cumulé de 1,5 milliards de dollars pour les 3 prochaines années. Il est donc indispensable qu’à court terme l’exécutif dispose d’un mécanisme pour coordonner, suivre et évaluer et éventuellement accélérer la mise en œuvre de l’ensemble de projets annoncés à Bruxelles.
Nous venons dans le cadre du projet de renforcement des capacités de l’Institut national de la statistique de financer la production des premières données sur la pauvreté non monétaire et les disparités régionales depuis 15 ans. Ces données seront réactualisées tous les 6 mois et permettront ainsi de mesurer objectivement les résultats du plan de redressement et construction de la paix en Centrafrique -RCPCA-.
Il va cependant falloir mettre en place une équipe dédiée au suivi du RCPCA pour au moins les 3 prochaines années. Comme annoncé à son excellence le Président Faustin-Archange Touadéra lors de son voyage à Washington au mois de septembre de l’année dernière, la Banque mondiale contribue déjà et va contribuer significativement au financement de l’équipe. Pour cela nous allons ajouter 5 millions de dollars à notre projet d’assistance technique au ministère des finances qui sera présenté au Conseil d’administration au mois de mai prochain.
Merci encore de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer ici. Je me réjouis des échanges et discussions que nous aurons et, de l’excellent partenariat qui existe entre la République centrafricaine et la Banque mondiale. Vous êtes l'avenir de la Centrafrique et des centrafricains.
Le 11 mars 2017