Le média Kangbi-ndara.info a publié le 2 octobre 2017 un entretien très instructif . Nous avons souhaité le relayer
recueilli par Johnny Yannick Nalimo
Adoubée hier 2 octobre 2017 par le Fonds Monétaire International -FMI-, pour avoir fait contribuer son département au relèvement de la croissance économique mais remerciée comme une malpropre dans son pays, à Kangbi-ndara, Maitre Arlette Sombo-Dibélé, ex-ministre centrafricain des Eaux et Forets Chasse et Pêche, brise la glace et dénonce les dérives d’une bonne gouvernance pourtant annoncées…
Kangbi-ndara (KN): Madame bonjour, voudriez-vous vous présenter de nouveau pour nos lecteurs ?
Arlette Sombo-Dibélé (ASD) : Je suis Maître Sombo-Dibélé Arlette. Avocat de formation ayant plus de 10 ans d’inscription au barreau de Centrafrique. Elue par mes pairs en 2005 pour constituer pendant 7 ans la Cour Constitutionnelle pérenne à l’issue des consultations électorales légales qui avaient porté au pouvoir le Président François Bozizé.
La situation de crise extrême qui a débuté dans notre pays en décembre 2012 m’a conduite à prendre position politiquement pour les valeurs que je défends quant à la justice, la bonne gouvernance et la paix. C’est ce qui m’a permis d’œuvrer dans la formation politique MNS (Mouvement National de Solidarité) dont le président est Monsieur Sorongope Zoumandji Eric et le Coordonnateur l’Honorable Guy Moskit.
Cette association politique, comme indiquée dans son préambule, "est née du constat que notre pays, la République centrafricaine risque de disparaitre, purement et simplement, du fait des conflits armés successifs, de la mauvaise gouvernance politique et d’une absence de vision globale à moyen et long terme ".
Pour défendre cette idéologie, sous la bannière du MNS, j’étais candidate à l’élection législative de 2015 dans la 1er circonscription du 2em Arrondissement de Bangui?
KN : Et cela vous a valu d’être au premier gouvernement du Premier ministre Simplice Matthieu Sarandji ?
ASD : Lorsque le 1er Ministre cherchait à me contacter, je ne le connaissais absolument pas ! Dieu m’est témoin que j’ai été invitée à participer à cette aventure sans avoir rien demandé!
Le programme annoncé par le Président de la République élu était en totale phase avec les principes que le M NS défend. J’ai donc jugé utile de participer pour ne pas prêter le flan à la maxime : "la critique est aisée mais l’art difficile". Bref, je me suis jetée à l’eau !
KN : Et les résultats sont ceux rendus publics : en effet, le chef de mission du FMI, hier 2 octobre 2017, au sortir de l’audience accordée par le Président de la République a dit, en substance, que la croissance économique de la RCA a été portée par les Département des Mines et des Forêts. Vous étiez à la tête du Département des Forêts avant d’être remerciée, quel est votre sentiment ?
ASD : Je ne jouerai pas à la fausse modestie. Je suis fière d’avoir relevé ce défi avec tous les cadres et agents de ce Département. Je tiens ici, une fois encore à les féliciter et à les remercier.
Le Chef de l’Etat, lorsqu’il me recevait, après mon accord donné pour composer le gouvernement, m’avait dit une phrase qui n’a jamais cessé de hanter ma pensée : "c’est un département qui peut nous apporter beaucoup de moyens, je vous sais capable" ! Je me suis demandée où, le Président puisait une telle foi en moi juriste, n’ayant aucune expérience du domaine forestier ?
"Le faire et le vouloir nous proviennent de Dieu", j’ai demandé d’avoir l’intelligence de gérer ce département au bénéfice de mon pays et Dieu m’a accordé cette grâce.
KN : Par quels moyens êtes-vous parvenu à ce résultat ?
Techniquement, il a fallu obtenir le respect de la loi en accédant à la demande des Sociétés forestières qui se plaignaient d’une situation arbitraire. Grosso modo, l’Etat appliquait un taux similaire de 40% de taxes pour l’exportation des grumes et des sciages de bois, quand la loi faisait une distinction en accordant un taux moindre pour les sciages, soit 20% !
Deuxièmement, en accord avec les partenaires forestiers, dans le dialogue et la transparence, j’ai institué le principe du quitus délivré par le chef du Département à l’issue de l’exécution de toutes les contraintes administratives fiscalo -douanières par les sociétés forestières au bout de trois mois et au vu du paiement de toutes les taxes dues au département des forêts : loyers, taxes d’abattages, de reboisements. C’est cette approche qui permet depuis Novembre 2016, un paiement régulier qui va de 270.000.000 Fcfa à plus, selon les mouvements de bois.
Oui, je suis fière d’avoir relevé un défi dont je parlais lors de ma campagne électorale : "’exploitation forestière, minière destinée à procurer à notre pays un revenu lui permettant d’assurer ses charges régaliennes". Je sais que c’est possible, ce n’est pas un leurre ni un vœu pieu. Il suffit d’une gestion saine !
KN : En principe un dicton annonce : " on ne change pas l’équipe qui gagne". Votre travail a été apprécié par le Chef de la Mission du FMI qui n’est pas le moindre des experts. Comment expliquer-vous, objectivement, que cela ait pu aboutir à vous relever de votre poste ?
ASD : s’il y a une explication objective, elle ne pourra vous être donnée que par les auteurs de mon éviction. "Les cimetières sont pleins de gens qui se croyaient indispensables". Je ne suis pas de ceux qui se croient indispensables mais je peux d’ores et déjà vous dire que je n’avais plus les moyens de gérer librement mon département selon les prescriptions mêmes des textes qui le régissent toujours.
KN : Comment étiez-vous liée ?
ASD : Chaque Ministre entrant au gouvernement, a reçu une lettre de mission. La substance du programme du Président de la République provient des consultations populaires à la base dont les recommandations ont été inscrites dans la Constitution et reprises dans le Plan de Relèvement et de consolidation de la paix en RCA : PRCPCA.
Parmi les 4 piliers de ce plan figure en bonne place la relance économique et la bonne gouvernance. Qui dit bonne gouvernance, dit lutte contre la corruption, n’est ce pas ?
J’ai, peut être été naïve de croire pouvoir agir dans ce sens. Le Département, dont j’ai eu la charge, a sous sa tutelle, entre autres, trois organismes : le Fonds National pour l’Environnement (FNE), l’Agence de Gestion Durable des Ressources Forestières (AGDRF) et l’ancien Compte d’Affectation Spécial au Développement Forestier (CASDF) devenu Fonds de Développement Forestier (FDF) après la présentation du projet de LOI le créant à l’Assemblée et son adoption par celle-ci .
Singulièrement, tous les problèmes que j’ai eus viennent de la gestion de l’organisme sous tutelle qui engrange le fruit du travail du Département c’est-à-dire les taxes payées.
La loi relative aux Offices et Entreprises publics confèrent leur tutelle au Ministre. Le Ministre, organe étatique, qui coiffe le Département, a la charge de veiller à la bonne marche des organismes sous tutelle comme étant le représentant du gouvernement dans le Département. A ce titre, les programmes d’emploi des fonds doivent être soumis au Ministre de tutelle qui en apprécie la justesse et l’opportunité pour rendre compte au chef du Gouvernement, le 1er Ministre.
C’est ce que prévoit la Loi mais en pratique, je me suis retrouvée, tel un décor, sans aucune prise sur l’appréciation de la gestion des fonds que pourtant je contribuais à faire entrer à l’ancien CASDF.
Cette situation n’existait pas à ma prise de fonction sous l’ancien contrôleur général du secteur parapublic, Mme Mandozin : le programme d’emploi du CASDF m’était soumis et je l’acheminais, après visa, à la primature.
Avec l’actuel Ministre Contrôleur du secteur parapublic, le contrôleur est partie et juge ! Je n’en veux pour preuve qu’une Décision N°009 qu’il avait prise pour se substituer au conseil d’administration du CASDF. Saisi par mes soins, nous devons au bon sens du Président de la République, le retrait de cette décision suivant l’avis de son ministre conseiller juridique.
Pour aucun autre organisme sous tutelle j’ai subi les pressions que j’ai eues pour l’ancien CASDF !
Il vous souviendra du prétendu mouvement de grève orchestré contre ma personne et qui a été l’occasion d’injures à mon endroit visant mon ethnie et ma personnalité. J’étais taxée de tribalisme et d’incompétence.
Aujourd’hui je peux vous dire le fond du problème.
KN : De quoi s’agit-il, quel est le problème réel ?
ASD : Il s’agit d’appliquer ou non les principes énoncés dans le programme du Président de la République quant à la bonne gouvernance, l’impunité zéro et la relève économique !
Cette priorité, parmi tant d’autres, est inscrite dans la lettre de Mission que son Excellence Mr le 1er Ministre m’avait transmise dès le 13 septembre 2016.
De même, le Discours du Chef de l’Etat aux Ministres du 1er gouvernement, après son élection, prohibait « les Ministres –Hommes d’affaires » adonnés à la rapine.
Vous comprendrez, dès lors, ma surprise lorsque je suis menacée « des sanctions exemplaires » par l’Inspection Générale d’Etat pour avoir relevé , poursuivi et confondu un cadre pour Détournement de deniers publics (60.millions de cfa) , de manière flagrante, preuve à l’appui et que j’ai refusé de suspendre cette procédure et de retirer la plainte du Département comme l’Inspection Général me le demandait !
Vous comprendrez ma surprise lorsque le 1er Ministre qui est celui là même qui m’a donné mission d’exécuter un programme de rupture, se refuse à intervenir lorsque je le saisis des abus de son contrôleur général du secteur parapublic et fais mieux en m’instruisant de suspendre une procédure faite en toute légalité contre un cadre qui rejetait l’autorité du conseil d’administration en refusant de rendre compte de sa gestion et qui estimait ne plus devoir soumettre au Ministre de tutelle les programmes d’emploi sinon au Ministre contrôleur général du secteur parapublic devenu gestionnaire de fait en violation de la Loi !
L’injustice ceci est constituée dans le fait que dans le même temps où le conseil d’administration de l’ancien CASDF avait décidé du retrait du quitus au directeur ordonnateur , l’AGDRF, autre organisme sous tutelle avait décidé de la suspension du directeur général pour tentative de détournement ! Cela n’a pas suscité l’émoi ni de l’Inspection Général d’Etat ni du 1e Ministre qui ont laissé faire ! Il y a deux poids, deux mesures face à une situation identique.
Alors pourquoi tant de réactions pour protéger le directeur odonnateur du CASDF, actuel FDF, auteur d’un détournement avéré de 60.000.000 de Fcfa
Voilà pour la "bonne gouvernance, la transparence et l’impunité zéro"
J’ai eu droit à cette réaction des plus tapageuses du 1er Ministre arrivant en grandes pompes au Département pour me fustiger alors que je venais de faire l’objet d’injures publiques de la part du Directeur-ordonnateur suspendu mais que l’Inspection Générale d’Etat s’était arrogée le droit de réhabiliter en violation du principe de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire étant donné que la procédure est pendante devant le juge et que les statuts de la fonction publique font obligations de suspendre de solde et de fonction tout fonctionnaire qui fait l’objet de poursuite pénale !
Le 1er Ministre m’a accusée de "salir le gouvernement" !
KN : Maître, car vous reprenez la robe, que retirez vous de cette expérience au gouvernement ?
ASD : Au risque de vous surprendre, je sors riche de beaucoup de connaissances tant sur la cause des maux qui gangrènent notre pays que sur les mesures indispensables à appliquer pour un changement radical, d’abord des mentalités !
KN : Quelles sont ces connaissances et ces mesures indispensables ?
ASD : les connaissances ont trait à la gouvernance : il ne sert à rien de multiplier des déclarations lorsqu’aucun acte de rupture n’est posé !
La gouvernance incombe au gouvernement, excusez –moi de cette "tautologie", mais la question se pose : "le gouvernement gouverne-t-il réellement ? Les Ministres jouissent-ils de toute la latitude pour agir ?".
Quant au changement de nos mentalités, trouvez-vous juste, respectueux que des membres d’un Département soient manipulés pour invectiver, injurier un représentant de l’autorité de l’Etat sans que cela n’émeuve celui qui dit protéger ses Ministres, le 1er des Ministres, le premier Ministre ?
Tout le long de mon parcours au gouvernement, j’ai eu l’impression d’être un extra terrestre lorsque je parlais "rupture, bonne gouvernance, application de la loi". J’avais l’impression de marcher sur la tête, d’être "l’anormale". Vous comprendrez que le fait qu’une instance internationale me donne un quitus honorable me touche énormément.
Nous sommes consultés à bras ouvert, a grands renforts de "ma sœur, mon frère" pour entrer au gouvernement et lorsqu’on nous en fait sortir la décence élémentaire voudrait qu’on puisse nous l’annoncer au moins avant, à moins de l’envisager comme un châtiment ???… SIC !
KN : Maitre Arlette Sombo-Dibélé, je vous dis merci.
ASD : C’est moi qui vous remercie.