Après avoir soutenu l'actuel président de la République aux élections présidentielles de 2015, un groupe de frondeurs bien identifié a projeté une manifestation pacifique à la célèbre place de la République à Paris. Cette première manifestation est autorisée par la préfecture de police de Paris et sera encadrée par les forces de l'ordre. Ce rassemblement qui a l'air d'une manifestation comme toute autre fait l'objet d'intenses polémiques sur les réseaux sociaux entre les "pour" et les "contre". L'objectif de cette manifestation vise à réclamer la démission prématurée du Président de la République démocratiquement élu au suffrage universel direct, et éventuellement la mise en place d'une nouvelle transition dirigée par des militaires.
Selon les organisateurs, l'inertie, les errances, le saupoudrage d'efforts, le manque d'efficacité et de finesse des nouvelles autorités face aux innombrables massacres de la population légitimerait une telle démarche. Ainsi, le citoyen lambda qui ne comprend pas ce que cache cette manifestation s'interroge : C'est quoi une manifestation contre un régime? S'agit-il d'un droit ou d'un acte contraire aux principes fondamentaux du droit ? Dans un État de droit, les citoyens n'ont-ils pas le droit de réclamer la démission d'un président de la République ? Élu démocratiquement ou pas, les centrafricains n'ont-ils pas le droit de penser ou de faire ce qu'ils veulent ? Pourquoi vilipender ou traiter du nom de tous oiseaux les organisateurs de cette manifestation jusqu'à descendre dans les affaires de culottes qui relèvent de la vie privée ? Mais pourquoi le pouvoir de Bangui redoute tant cette manifestation de Paris ?
Pourquoi toutes ces mobilisations et campagnes de sensibilisation visant à empêcher la bonne tenue de cette rencontre ? S'agit-il de la guerre des enveloppes provenant du pouvoir et/ou de l'opposition ? De quelle nouvelle transition militaire parle t-on ? Ce pays doit-il évoluer de transition en transition ? Des avatars qui ne maîtrisent pas les rouages de la politique ni le fonctionnement juridique d'un État s'invitent dans l'arène pour amuser la galerie en piétinant les aspirations du peuple. La place de la République à Paris deviendra ce jour la capitale centrafricaine, le baromètre ou le centre névralgique où se décidera le sort du locataire du palais de la renaissance. Nous tenons à rappeler que la manifestation par définition est une réunion organisée dans un lieu public ou sur la voie publique en vue d'exprimer une cause collective.
Il s'agit d'un droit fondamental reconnu et protégé par la loi. Il est indispensable à la liberté d'expression et la revendication des droits. L'exercice de ce droit est corroboré par l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui dispose :" nul ne peut être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi".L'unique condition d'une manifestation est sa déclaration préalable en vue d'une autorisation. En dépit des dispositions de cet article et eu égard aux agitations des fanatiques du pouvoir de Bangui, on se demande si ce genre de manifestation pacifique pouvait avoir lieu sur la terre centrafricaine.
Dès lors que la manifestation n'est pas interdite, il devient un droit. L'appel à la démission du président de la République n'entérinera pas la démission effective de celui-ci au lendemain de la manifestation mais cela peut servir comme un moyen de pression pour contraindre le pouvoir à se réveiller de son long sommeil. Nous crayons fort bien que dans les jours à venir, les organisateurs de la manifestation et leurs différents soutiens soient accusés d'être des opposants, de fossoyeurs de la République et même de préparation de coup d'état. Alors de quelle manière pouvons-nous contribuer positivement au relèvement de notre chère patrie ? Quand vous pensez la même chose que le pouvoir, vous êtes un quémandeur de postes et si vous réfléchissez autrement que le pouvoir, vous êtes un opposant.
Mais à quel moment on est citoyen avec un droit de porter un regard critique sur notre pays ? Cela n'est-il pas un raccourci ? Depuis leur avènement à la magistrature suprême, des propositions de sortie de crise inondent les réseaux sociaux. Ont-ils tenu compte ? Une lecture préliminaire et sélective permet de remplir les poubelles de propositions contraires aux leurs. En conséquence de ce qui précède et nonobstant les innombrables errements du pouvoir, nous nous inscrivons en faux et marquons notre farouche opposition à toute démarche ou initiative visant la démission du président de la République car cela nous fera perdre nos acquis et avancées démocratiques et les efforts de nos partenaires au développement seront trahis.
Cela s'apparentera à un retour à la case départ. Certes, les choses n'évoluent pas comme souhaitées c'est à dire ne répondent pas aux attentes de la population mais la voie principale pour se débarrasser d'un Président élu reste les échéances électorales. À la fin de son mandat, le professeur qui a l'habitude d'évaluer ses élèves, sera aussi évalué et noté par le peuple. Au chapitre de propositions qui finira certainement sa course dans la poubelle, la plus plausible reste la cohabitation c'est à dire un nouveau gouvernement dirigé par un membre de l'opposition démocratique avec la particularité de l'entrée au gouvernement des représentants des groupes armés et non les leaders sur qui pèsent des infractions qui relèvent de la cour pénale spéciale.
Ne maîtrisant pas le jeu de la France, de l'ONU et de la communauté internationale, l'usage de la force contre les groupes armés est suicidaire car cela devrait se faire au moment où le nombre des groupes armés était maîtrisable avec peu de préfectures occupées. Aujourd'hui, on assiste à une prolifération de groupes armés, d'autres sont en gestation avec 14 préfectures occupées sur 16. Cette option conduira systématiquement à l'embrasement total du pays avec le risque que notre nation soit rayée de la carte de l'Afrique. Mais attention, ne le dîtes à personne. Si on vous demande, ne dîtes pas que c'est moi.
Bernard Selemby Doudou - juriste, administrateur des élections
Paris le 8 septembre 2017