Six casques bleus et une centaine de civils tués: depuis le 8 mai 2017, une nouvelle vague de violences frappe la Centrafrique, notamment à Bangassou, dans le sud-est du Centrafrique. Antoine Guterres, secrétaire général de l'ONU, se déclare "préoccupé par l'instabilité généralisée" en Centrafrique.
Anicet-Georges Dologuélé @pan archives 2016
En février 2016, Anicet-Georges Dologuélé est arrivé second à l'élection présidentielle. Aujourd'hui, le député Dologuélé et ancien premier ministre réagit aux derniers événements. En direct de Bangui, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Après un an de pouvoir, le président Faustin-Archange Touadéra a déclaré que son bilan était positif. Certes, il reste beaucoup à faire, mais beaucoup a déjà été fait.
Anicet-Georges Dologuélé : Je pense que mes compatriotes et moi, nous avons du mal à repérer ce qui a déjà été fait. Quand j’ai donné mon avis sur ce bilan il y a quelques mois, j’avais indiqué que l’accord de la table ronde de Bruxelles [novembre 2016] était une grande avancée. Tout le monde y a mis du sien, en particulier la communauté internationale. En revanche, en dehors de cette table ronde, je ne vois pas de bilan à mettre en avant, sauf le bilan sécuritaire extrêmement négatif. Quand le président Touadéra a été élu, aussitôt après son élection, les bandes armées étaient plus ou moins tranquilles. Ils attendaient que des propositions leur soient faites. Depuis, de manière progressive, elles ont envahi tout le pays comme si précisément il n’y avait pas un pouvoir central en République centrafricaine.
Si vous aviez été élu, qu’aurez-vous fait de mieux ?
Déjà, je n’ai pas été élu. Donc avec des si, on peut faire beaucoup de choses. Mais j’aurais fait de manière complètement différente. L’approche des groupes armés, certains de nous ont pu échanger entre des chefs de guerre entre les deux tours. Donc j’avais bien senti que ces gens attendaient un traitement, un peu d’autorité. Ils avaient envie de sentir que leur pays était dirigé et que des propositions concrètes leur étaient faites pour pouvoir enfin démobiliser les jeunes qui finalement leur coûtaient cher à l’époque. Mais en constatant que l’Etat était très faible, cette peur est tombée progressivement. Des groupes armés ont commencé à envahir ville par ville. Ils ont vu qu’en face, il n’y avait aucune résistance, aucune organisation. Et finalement, ce sont les trois quarts du pays qui sont aujourd’hui envahis.
Ce que vous dites, c’est qu’à vos yeux le président a manqué d’autorité ?
Il a manqué d’organisation, d’autorité et de décisions au bon moment.
Mais franchement, avec des Forces armées centrafricaines, Faca, très désorganisées, qu’est-ce que le président pouvait faire de mieux ?
La présidente de transition avait le même type de forces centrafricaines et les mêmes forces des Nations unies. Et pendant les deux ans de transition, on n’a pas connu ce qu’on connaît aujourd’hui, si vous voulez une comparaison.
Sauf depuis déjà huit mois, les soldats français de Sangaris sont partis. Cela est peut-être une sacrée différence ?
Oui. Leur départ me paraissait prématuré, je l’ai dit d’ailleurs quand le ministre de la Défense de la France [Jean-Yves Le Drian en juin 2016] est venu et qu’il a parlé à l’Assemblée nationale. Je lui ai dit que ce départ était précoce. Mais on ne peut pas tout mettre sur les autres. C’était une mission limitée dans le temps. Donc on ne peut pas tout mettre sur la force.
Vous semblez dire que la responsabilité est partagée entre Faustin-Archange Touadéra et François Hollande ?
Non. La responsabilité est partagée entre la MINUSCA qui n’utilise pas à fond le mandat robuste qui lui a été conféré par le Conseil de sécurité des Nations unies, et notre gouvernement qui ne fait montre d’aucune vision et d’aucun esprit de décision.
Pourquoi dîtes-vous que les 12 000 casques bleus des Nations unies n’utilisent pas ce fameux mandat robuste ?
Mais parce que ces bandes armées n’étaient pas aussi lourdement armées il y a un an. Donc c’était encore possible de les étouffer. Aujourd’hui, on leur a laissé le temps de se surarmer, de recruter beaucoup de mercenaires et aujourd’hui cela devient difficile. Vous voyez qu’à Bangassou, ils s’en sont pris directement aux forces des Nations unies et de manière volontaire et organisée. Donc ils n’en ont plus peur. C’est un tournant dangereux auquel il ne fallait pas arriver.
Le mal est fait. Que faut-il faire aujourd’hui ?
La MINUSCA est toujours là. Il y a moyen de mieux les organiser, de faire appliquer de manière rigoureuse ces résolutions du Conseil de sécurité, de montrer qui est le plus fort parce que c’est de ça qu’il s’agit. Et si la MINUSCA ne bouge pas, vous voyez ce qui se passe : 75% du territoire aujourd’hui ; demain, je ne sais pas combien il restera du territoire centrafricain.
Vous êtes député et le Parlement vient de recommander à l’Exécutif de "futures négociations de paix", mais dans un cadre précis.
Pas seulement le Parlement. J’ai conduit une délégation de tous les leaders politiques pour rencontrer le président Touadéra en début de semaine avec un mémorandum dans lequel nous disions ce que nous pensions de ce dialogue national, qui est envisagé d’être organisé à l’extérieur. Nous souhaitons qu’il soit organisé en Centrafrique et qu’il connaisse la participation de tout le monde.
Votre initiative, c’est un contre-feu à l’initiative africaine de paix que porte l’Union africaine ?
Ce n’est pas un contre-feu. C’est une opinion de parti politique et d’association politique centrafricaine. Nous allons faire une équipe nationale autour de cette question-là pour accompagner le gouvernement.
Alors vous demandez à ce gouvernement de déposer un projet de loi en ce sens. Est-ce que ça veut dire qu’entre le Parlement et le gouvernement, vous enterrez la hache de guerre ?
Cette hache de guerre qui a été créée à mon avis artificiellement par le gouvernement qui a refusé de lire la Constitution, je pense que c’est une hache de guerre qui peut être enterrée très vite. Il suffit que chacun de nous respecte notre Constitution. Nous ne devons pas empiéter sur-le-champ du gouvernement et le gouvernement doit comprendre que l’une des actions de l’Assemblée nationale, c’est le contrôle de l’action gouvernementale. Une fois que cela est compris par les uns et les autres, je pense qu’il n’y a plus de problème.
Le 12 juin 2017