Déclaration du groupe parlementaire URCA sur la loi de finances 2020
Présentée par l’Honorable Anicet Georges Dologuelé
Président du groupe, Député de Bocaranga 1
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Monsieur le Ministre des finances et du Budget,
Chers Collègues députés de la Nation,
Mesdames et Messieurs,
Au nom du groupe parlementaire URCA, je voudrais adresser nos vives félicitations à nos collègues de la Commission économie et finances pour la qualité du rapport qui vient de nous être présenté et pour leur diligence dans le respect des délais légaux.
Monsieur le Ministre,
Nous sommes réunis dans cet hémicycle pour le vote de l’avant dernier budget primitif du mandat du président Faustin-Archange Touadera. En effet dans un an, quand il faudra débattre du dernier budget de son mandat et du nôtre en tant que députés, la plupart d’entre nous seront déjà en campagne électorale. A condition, bien entendu, que l’organisation des élections soit rendue possible dans les délais prévus par la Constitution. Comme nous le savons tous, c’est encore loin d’en être le cas, mais çà, c’est un autre débat…
Chers collègues,
Comme nous le savons tous, le vote forcément positif de la Loi des finances est devenu, au fil des ans, un exercice automatique et ennuyeux. On terrorise les honorables députés en leur faisant croire qu’un vote négatif ou un renvoi pour améliorations les priverait de leurs indemnités. On fait circuler des enveloppes sous le manteau pour orienter leur vote, etc.
Mais, Monsieur le Ministre, nous avons été élus pour défendre les intérêts de la population, pas les nôtres !
Comment voulez-vous que nous convainquions nos populations que tout va bien, parce que vous nous annoncez que les prévisions de croissance du PIB seront de 5,1% en 2020, alors même que leurs conditions de vie deviennent de plus en plus misérables ?
Comment voulez-vous que nous rassurions les centrafricains que sur les 2 025 millions de dollars annoncés pour le financement du RCPCA, 1718 millions ont déjà été acquis par le gouvernement, alors que:
- L’état de nos hôpitaux et centres de santé se dégrade jour après jour, les transformant en véritables mouroirs,
- Les pistes qui servent de routes à travers tout le pays sont de plus en plus défoncées, rendant les déplacements très difficiles et couteux, en plus d’être périlleux,
- Les infrastructures de notre unique université n’ont connu aucune amélioration, bien au contraire, ce qui est d’autant plus paradoxal que le pays est aujourd’hui dirigé par des enseignants du supérieur,
- Aucun nouveau collège ou lycée n’a été construit et les bâtiments de ceux qui existent se dégradent d’année en année,
- Ne parlons pas des écoles primaires, où nos enfants sont entassés par centaines dans des salles de classes exiguës, dépourvues de tables-bancs et d’enseignants,
Monsieur le Ministre,
1 718 millions de dollars, c’est près de 1 024 milliards de Fcfa, c’est plus de 5 ans de recettes budgétaires intérieures, c’est beaucoup d’argent !
Avec un montant aussi important investi dans le pays, les centrafricains devraient avoir remarqué un peu de changements dans le pays et dans leur vie de tous les jours ! Cela ne semble pas le cas. Si nous ne savons pas voir, peut-être pourriez-vous nous indiquer quel est le projet significatif et visible qui a été financé en quatre ans ? Certes, vous n’êtes pas le Ministre de l’économie, mais vous êtes l’Ordonnateur unique de l’Etat. Vous êtes donc bien placé pour éclairer nos lanternes.
Nous vous rappelons que le budget de l’Etat n’est pas qu’un exercice intellectuel. Il s’agit, pour nous les Députés, d’autoriser l’Exécutif à dépenser de l’argent, à la fois pour construire le Pays sur la base des politiques publiques du Gouvernement et pour faire fonctionner l’Etat. Les recettes générées par nos régies financières sont, certes, encore très limitées. C’est pour cela que notre Groupe parlementaire tient à remercier et féliciter la Communauté internationale qui, depuis le retour à l’ordre constitutionnel, nous appui de manière constante, notamment à travers une aide financière qui dépasse de très loin la totalité de ce que notre pays a reçu ces 20 dernières années. Nos partenaires le font parce qu’ils veulent empêcher qu’un naufrage économique et social ne s’ajoute au naufrage sécuritaire déjà très difficile à rattraper. Mais ils sont en droit de s’inquiéter de l’utilisation de ces ressources, dont certaines ne sont pas gratuites, notamment celles du FMI pour lesquelles nous avons tiré 120% de notre quote-part. Nos partenaires savent que nous avons déjà atteint le plafond de certains tirages, alors que notre capacité d’absorption de ces ressources financières demeure encore très faible.
Par ailleurs, notre groupe parlementaire avait tiré la sonnette d’alarme lors de la présentation du budget 2018, sur les montants importants du service de la dette auxquels devra faire face notre pays dans quelques années, alors même que les recettes intérieures de l’Etat continuent de stagner. En d’autres termes, les aides et l’endettement de l’Etat n’arrivent pas à générer une création de richesses qui impacte positivement les recettes de l’Etat. Dans ces conditions, avec quelles ressources le gouvernement projette-t-il de rembourser ces dettes sans que cela n’impacte négativement ses capacités à faire face aux dépenses régaliennes ?
Monsieur le Ministre,
Nous souhaitons évoquer ici le problème de la corruption qui gangrène l’Etat. La population en parle. Nos partenaires en parlent.
Jamais, au grand jamais, le niveau de corruption n’avait auparavant atteint un tel niveau. Les responsables de l’Etat ne prennent plus de gants. Ils volent et détournent ouvertement, cyniquement. Ils en arrivent à oublier qu’ils avaient tous déclaré leur patrimoine à la Cour Constitutionnelle à l’issue de leur élection où après leur nomination. Ils oublient que l’une des missions principales de la Haute autorité pour la bonne gouvernance - HABG-, Institution mise en place par notre Constitution, est de recenser les biens illégalement accumulés et d’en faire vérifier les sources de financement. Ils se croient à jamais impunis. Beaucoup d’entre eux habitaient dans des maisons très modestes. Ils possèdent aujourd’hui plusieurs villas de luxe, en Centrafrique, comme à l’Etranger. Nous apprenons qu’en Europe, certains organes de contrôle auraient commencé à demander des comptes à certains, s’agissant de mouvements de fonds portant sur de montants anormalement importants. Ce n’est certainement qu’un début…
Quant à nous, Monsieur le ministre, nous sommes des élus du peuple. Nous faisons des promesses à nos populations, à partir des politiques publiques que vous nous faites voter dans le budget de l’Etat. Dites-moi, que conseillez-vous aux 140 députés que nous sommes, de la majorité comme de l’Opposition, de Bangui ou des Provinces, de dire à nos électeurs à la fin de notre mandat ? Dans quel quartier de Bangui ou dans quelle ville de province un député peut-il mettre en avant la moindre amélioration des conditions de vie des populations de sa circonscription? A quoi nous sert-il de voter chaque année un budget de l’Etat qui ne sert qu’à maintenir, au mieux, le statut quo de l‘extrême pauvreté ?
Monsieur le Ministre,
Lors du vote du budget 2019, nous vous avions rappelé qu’alors que notre pays avait la réputation d’être l’un des principaux exportateurs de diamant en Afrique, cela n’était pas traduit dans le budget de l’Etat. Vous nous aviez répondu et je vous cite : "nous ne taxons que ce que nous voyons".
Aujourd’hui, nous supposons que quand des opérateurs économiques installent 4 barges d’exploitation de diamant au large de Nola, cela est visible ! Quand une dizaine de gros engins détruisent la nature en déviant la rivière Ouham à Bozoum, causant de graves dégâts sur les populations, la flore et la faune, cela est visible! Et nous pouvons multiplier beaucoup d’exemples de cette nature dans le pays ! Or, le dernier collectif budgétaire avait prévu des recettes générées par le diamant et l’or pour un total de 1,428 milliards, ce qui est déjà ridiculement bas. Mais nous notons qu’à fin Août, les réalisations n’avaient atteint que 360 millions.
- Alors, Monsieur le Ministre, où sont passées les recettes tirées de l’exploitation sauvage de notre or et de notre diamant par toutes ces sociétés minières ?
- Allons-nous continuer de laisser le gouvernement organiser la destruction de notre pays et de nos populations sans aucune contrepartie ?
- Dans quelles poches sont rentrées les taxes dues à l’Etat ?
- Quelles dispositions avez-vous prévues, au niveau de votre département, pour capter les recettes de ces exploitations semi- industrielles dûment autorisées par l’Etat?
Quand, du haut de cette tribune, nous avions manifesté notre inquiétude par rapport à l’affairisme des dirigeants de notre pays dans le secteur minier, vous nous aviez répondu à l’époque, avec un brin de condescendance, qu’aucun haut dirigeant n’était trafiquant de diamant. Dont acte…Mais comme le dit un adage : "99 jours pour le voleur, un jour pour le patron" . Et notre patron, Monsieur le ministre, c’est notre peuple.
Monsieur le Ministre,
Au risque de nous répéter, le vote mécanique est un danger pour la démocratie et la bonne gouvernance. Ce terrorisme du vote positif, notamment à travers le chantage que nous vivons au quotidien quant aux décaissements du budget de fonctionnement du Parlement, a déjà considérablement affaibli la capacité des députés à contrôler l’action gouvernementale.
En conclusion de tout ce qui précède, le groupe parlementaire URCA appelle tous les collègues à voter "Non" à cette loi des Finances 2020.
Monsieur le président, Monsieur le ministre, Chers collègues,
Je vous remercie